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ÉTAT MORAL DE L’AMÉRIQUE DU NORD.

national et individuel de ce peuple nouveau avaient été plus ou moins omis ; peut-être fallait-il un Allemand pour sonder ces questions si profondes, et pour observer avec une patience attentive les ressorts secrets et cachés de cette vie si agitée dans ses mouvemens, si diverse et si compliquée dans ses formes, dont on nous a présenté jusqu’ici les faces principales. Fidèle à l’esprit qui caractérise l’étude et la science allemandes, le docteur Julius devait s’attacher de préférence à l’observation de l’histoire, et en déduire comme conséquence toutes les manifestations de la vie. Le Français peut se poser gracieusement à la surface des choses, cueillir en quelque sorte la fleur des questions les plus profondes, entrevoir d’un coup d’œil dans un fait tous les faits qui l’ont préparé, tous les principes qui l’ont produit. Mistress Trollope a bien pu causer agréablement, dans deux volumes, sur les mœurs des Américains, effleurer légèrement le côté le plus extérieur de la société, s’impatienter, comme une femme du monde, parce que l’Yankee mâche du tabac dans un salon, et n’a rien des manières polies de l’aristocratie anglaise. L’Allemand ne peut mettre le pied sur une question sans tomber au fond du premier coup. Quelquefois, à la vérité, il y reste, au grand dépit des lecteurs qui comprennent difficilement ce qu’il leur dit, parce qu’à une certaine profondeur, les objets les plus clairs deviennent obscurs. Mais s’il parvient à en sortir, il est rare que ses élucubrations consciencieuses ne manifestent pas quelque fait ou quelque principe qui, sans lui, serait resté caché et inaperçu. Nous féliciterons donc sincèrement le docteur Julius d’avoir été fidèle à la méthode employée par les savans de son pays, et de nous avoir fait assister à l’origine et au développement de l’histoire et des institutions du peuple qu’il a si judicieusement observé. Dans le travail dont son livre nous a fourni la base et les matériaux, nous nous attacherons à la partie qu’il a le plus savamment traitée ; car, après tout ce qui a été publié en France sur le système pénitentiaire aux États-Unis, nous regardons la matière comme épuisée, tandis que le côté historique, social et religieux, a été moins observé jusqu’ici.

Chose remarquable, la cupidité et le désir effréné de l’or poussèrent les Européens vers les contrées méridionales de l’Amérique ; et, après bien des luttes et de cruelles iniquités, les deux races finirent par se confondre. La persécution, au contraire, peupla d’Européens l’Amérique du Nord, et à peine ces mêmes hommes que l’intolérance avait contraints à quitter leur patrie, ont-ils mis le pied sur la terre étrangère, qu’on les voit commencer et poursuivre avec un incroyable acharnement une guerre d’extermination contre la race indigène. Quelques puritains, disciples de Robert Brown, vont chercher en Hollande un refuge contre la tyrannie d’Élisabeth. Le zèle intolérant de la fille de Henri VIII trouve moyen de les y atteindre. Ils s’embarquent pour le Nouveau-Monde, et les chefs des quarante-une familles qui composaient la colonie naissante jettent les fondemens de la constitution sous laquelle ils voulaient vivre. Cette constitution était bien simple. Quiconque était membre de l’église était par cela même membre de l’assemblée législative ; et pour que cette société nouvelle