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l’aristocratie, que tout ce qui cherche à dépasser les autres y est vu d’un mauvais œil. Ainsi, chaque année, de nouvelles plaintes et de nouvelles attaques, dans le congrès, viennent rendre plus incertaine la position et même l’existence de l’école militaire établie à Westpoint dans l’état de New-York, et pourtant cette école est la seule de ce genre qui existe aux États-Unis. Elle a donné jusqu’ici les résultats les plus satisfaisans. Les officiers qu’elle forme sont tous des hommes distingués, aussi bien par la culture de leur esprit et de leurs mœurs que par les habitudes militaires qu’ils y prennent ; mais leur unique tort, c’est de savoir plus que les autres ; c’est de constituer, par la nature même de leur profession et par les études plus fortes qu’ils ont dû faire, une classe distincte, et que l’on remarque d’autant plus qu’elle contraste davantage avec les habitudes intellectuelles de la masse du peuple aux États-Unis. Cependant, vu la condition toute particulière de l’Amérique, je m’explique et n’ose blâmer cette tendance générale de l’opinion. Elle me paraît bonne dans son principe et dans son but, parce qu’avant tout il faut à ce peuple des hommes capables de mettre la main aux choses nécessaires, et que, tant qu’il aura devant lui et autour de lui des déserts à peupler, et des établissemens sans nombre à fonder, il devra développer, par tous les moyens, l’instinct de la personnalité dans chacun des citoyens qui le composent. Je sais bien qu’il est facile et dangereux d’exagérer ce sentiment, et que, s’il finissait par devenir un élément naturel et indestructible, il pourrait, lorsque de nouvelles circonstances en auront diminué la nécessité, être le principe d’inconvéniens graves et dégénérer en un étroit égoïsme. Mais de quoi n’abuse-t-on pas ? La bonté des choses humaines est presque toujours relative au but pour lequel elles sont faites ou aux circonstances qui les ont amenées. Déplacez le but ou changez les circonstances, et ce qui était bon ou peut-être même nécessaire devient inutile ou dangereux. Je m’explique moins facilement l’imperfection des écoles normales, chez un peuple où l’instruction doit être universelle, et où chaque citoyen doit être mis en état de faire face aux mille circonstances imprévues qui peuvent surgir autour de lui. Dans quelques états de l’Union, le mal est si grand, que l’assemblée législative s’est vue forcée de prendre des mesures pour en empêcher le développement. Ainsi, dans l’état de New-York, il a fallu fixer, pour la paie des maîtres d’écoles, un minimum de 15 dollars par mois pour les hommes et de 10 pour les femmes ; encore ce minimum est si bas, qu’il atteint à peine le salaire de l’ouvrier le moins habile. La profession de l’enseignement devient, de cette manière, une sorte de métier sans considération, et chaque commune, par une inexcusable parcimonie, cherche dans les maîtres qu’elle doit payer, plutôt le bon marché que l’aptitude aux devoirs qu’ils ont à remplir.

Pendant quelque temps, les écoles de travail manuel ont joui d’une grande faveur aux États-Unis. Elles avaient le double avantage d’exiger peu de frais, parce que le travail des élèves payait les soins et le temps des maîtres, et de faciliter l’instruction aux enfans des citoyens pauvres, parce qu’avec le produit de leurs travaux dans les écoles d’industrie, ils pouvaient subvenir aux dépenses