Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/833

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
829
LES CÉSARS.

des échafauds dressés sur son passage, Néron va rendre grâces au Capitole. Un seul homme protesta ; Thraséa à ce moment se leva et sortit du sénat.

Néron pourtant, « quand le crime fut consommé, en comprit l’horreur. » Ce ne sont pas les remords profonds, dissimulés de Tibère ; l’ame de Néron n’est pas de force avec son crime ; il passe toute une nuit dans le délire et avec des tressaillemens soudains. Mais (ici je traduis Tacite, qui est admirable) « la face des lieux ne change pas comme celle de l’homme ; toujours, devant lui, il avait cette mer et ces rivages où déjà, dit-on, des cris plaintifs et la trompette funéraire se faisaient entendre auprès du tombeau d’Agrippine. » À Rome même, l’indignation se fait jour, et on a trouvé un enfant exposé avec cet écriteau : « Enfant abandonné de peur qu’il ne vienne à tuer sa mère ! » On remarque qu’à cette époque Néron rêva pour la première fois de sa vie ; ce doit être quelque chose d’effrayant qu’un premier rêve et un pareil rêve[1].

Sans suivre l’ordre des temps, voyez la fin de la famille impériale ; lisez encore dans Tacite le touchant récit des malheurs d’Octavie, son exil commandé par Poppée, la redoutable pitié du peuple, qui, lui, avait son franc parler avec Néron et exigea le rappel de l’exilée ; ses tumultueuses actions de graces, qui effrayèrent Néron, servirent Poppée, et que l’empereur fit réprimer à coups de sabre, tout épouvanté d’avoir été aussi clément. À la vue de cette sympathie populaire, l’une des plus énergiques qui ait éclaté sous les empereurs, on comprit que la fille de Claude méritait qu’on lui trouvât un délateur ; et comme ses esclaves, mis à la torture selon l’usage, ne répondaient qu’en protestant de son innocence, comme on l’accusait d’adultère et qu’il s’agissait de lui choisir un complice, comme le vieux principe de Tibère était de mêler à tout l’accusation de lèse-majesté, Néron retrouva cet Anicet, l’instrument du meurtre d’Agrippine, lequel, encouragé et menacé tout à la fois, s’avoua l’amant d’Octavie, son complice de conjuration, la fit condamner par un « conseil d’amis » (car tout tribunal était bon), et fut exilé en Sardaigne, où il vécut riche et mourut dans son lit. Il y a eu des siècles barbares ; mais en nul siècle la théorie du crime ne fut aussi savante, et la pratique mieux raisonnée qu’en celui-ci. Octavie et Agrippine sont un triste exemple du sort qui attendait les femmes placées près du trône de César, soit qu’elles restassent, comme l’une, dans la limite

  1. Suet., Ner., 46. — Tertull., De Animâ, 44, 49.