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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/834

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REVUE DES DEUX MONDES.

de leur devoir, soit qu’elles s’emportassent, comme la mère de Néron, à toutes les ambitions et à tous les crimes. La famille impériale était réduite à des femmes, et quand Néron eut tué Domitia, sa tante[1], et Antonia, fille de Claude, il put se vanter d’être le seul qui eût le droit de prétendre au nom de César. Cette Antonia périt pour n’avoir pas voulu l’épouser. Long-temps persécutée par Agrippine, deux fois elle fut rendue veuve par le fait de la justice impériale. Tel était le sort des princesses du sang ; trop honorées pour qu’on ne leur fît pas épouser de beaux noms, les beaux noms étaient trop redoutés pour qu’elles tardassent à devenir veuves.

En tout, une différence qui tient aux causes les plus élevées, est frappante entre l’antiquité et l’histoire moderne. Le rôle des femmes, dans l’histoire chrétienne, est le plus souvent noble et salutaire ; dans l’antiquité, quand elles en jouent un, il est presque toujours criminel et funeste. Surtout à l’époque des Césars, où ce n’est plus la femme grecque sévèrement enfermée dans un gynécée, ni la matrone romaine, plus honorée, mais soumise à une tutelle de toute sa vie, fille de son mari, disent les jurisconsultes, la femme, quand elle n’est pas esclave ou prostituée, est hardie, impudente ; elle a les passions cruelles, les allures et l’ambition viriles. C’est Césonie sous Caligula, Agrippine et Messaline sous Claude, Poppée sous Néron ; sous Auguste, c’était la rusée et vieille Livie. Tout cela se mêle aux sanglantes affaires de l’état, fait bouillonner parmi tant de passions le venin de ses jalousies et de ses haines, tout cela tue, tout cela est tué comme des hommes. Césonie, le casque en tête, passe à cheval devant le front des prétoriens ; Agrippine s’asseoit sur le trône de Claude, et donne audience à des ambassadeurs. La femme a reçu cette émancipation brutale que de nos jours on a rêvée contre elle ; elle est libre, elle prend un mari, le répudie, le reprend, compte les années par le nom de ses époux, épouse dans la pensée du divorce, fait divorce dans la pensée du mariage : la gazette de chaque matin annonce quelque répudiation[2]. Ne soyez pas si glorieux,

  1. « Comme il visitait Domitia malade, cette femme, selon une coutume familière aux vieillards, lui dit en caressant sa barbe naissante : « Quand je l’aurai vue coupée, je veux mourir. » Néron se tournant vers ses voisins : « Je la couperai sur l’heure, » dit-il comme en la raillant, et il ordonna aux médecins de la purger fortement. Elle n’était pas morte encore qu’il s’empara de ses biens et supprima son testament. » (Suet., 34. — Xiphilin., 61.)

    La coupe de la première barbe était à Rome une cérémonie religieuse et une solennité de famille.

  2. Uxorem nemo duxit nisi qui abduxit… Nulla sine divortio acta. (Seneq., Benef., I, 9 ; III, 16.)