Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/842

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
838
REVUE DES DEUX MONDES.

la Grande-Bretagne a placé son parc au milieu d’une ville ? Aussi Néron est-il presque content cette fois. — Je vais enfin, dit-il, être logé comme un homme.

Sa maison pourtant ne dura guère plus que lui. Il l’avait laissée inachevée, et Othon dépensa 50 millions de sesterces seulement pour la finir ; l’incendie ne tarda pas à restituer à Rome ce que l’incendie lui avait ôté. Sur la place, et avec les débris du palais, s’élevèrent l’amphithéâtre de Vespasien, les thermes de Titus, plus tard la basilique de Constantin. Une partie de son lac devint le Colysée. Quant au colosse, Vespasien et Titus en changèrent la tête pour celle du Soleil ; Commode y mit la sienne ; les statues romaines étaient habituées à ces transformations.

Ces passagères grandeurs auront coûté cher à l’empire. Il n’a pas suffi à Néron de mettre la main sur tous les débris de l’incendie, et, en se chargeant du déblai, d’interdire à chacun le retour dans les restes de sa demeure. Ce n’est pas même assez de toute une moisson de couronnes jadis offertes par la basse flatterie des cités à Néron artiste, et que Néron empereur n’avait pas voulu recevoir, salaire négligé dans des temps meilleurs, et que ce pauvre musicien réclame aujourd’hui. Il faut un pillage général de l’empire, qui montrera bien que, pour être dur aux grands et à Rome, le système impérial n’était pas non plus si doux aux petits et aux provinces. La souscription est ouverte dans tout l’empire, souscription que Néron sollicite comme une grace et qu’on n’a garde de refuser, où viennent se ruiner villes et citoyens, Italie et provinces, cités libres et cités conquises, hommes et dieux. Les dieux, dit Tacite, tombèrent au butin. L’or des triomphes et des vœux publics est enlevé des temples. Les vieux pénates de Rome sont fondus ; des émissaires de Néron parcourent la Grèce, vont jusque dans les moindres villages, et rapportent une moisson de dieux, la troisième, je crois, et non la dernière qu’aura fournie aux empereurs cette inépuisable Grèce.

Mais quelle n’est pas l’injustice du peuple de Rome ! En vain Néron pille le monde à son profit, lui ouvre, après l’incendie, ses jardins comme retraite, fait venir d’Ostie et des villes voisines tout ce qui lui est nécessaire et donne le blé à trois as le boisseau ; en vain, tout en sacrifiant les maisons, il épargne de son mieux les hommes ; en vain, pour le rassurer contre de futurs caprices incendiaires et de nouvelles manies d’artiste, ordonne-t-il, en excellent lieutenant de police, les meilleures mesures contre de nouveaux embrasemens : le peuple persiste à rejeter sur lui le crime de l’incendie, et ce crime, le