Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/851

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
847
LES CÉSARS.

enfans, des princes parthes ses neveux, et de trois cents cavaliers, sa femme à cheval auprès de lui, le visage caché par un casque d’or. Toutes les villes le reçoivent en triomphe aux frais de Néron, et surtout à leur détriment. Chaque jour de son voyage coûte 800,000 sesterces, 100,000 francs (s’il faut en croire Suétone, qui lui-même semble à peine le croire).

Néron, qui est venu au-devant de lui à Naples, le conduit à Rome. Rome illuminée, ornée de guirlandes, conspire tout entière pour la fête qui se prépare. Au milieu du Forum est rangé par tribus le peuple, — portion du spectacle, — en toges blanches, couronné de lauriers ; sur les degrés des temples, les prétoriens avec leurs armes étincelantes. Le toit des maisons est couvert de spectateurs. Le théâtre de Pompée est doré tout entier ; un velarium de pourpre, semé d’étoiles d’or, au milieu duquel est l’image de Néron conduisant un char, en écarte les ardeurs du soleil ; aussi ce jour fut-il appelé la journée d’or. Dès le matin, Néron, en habit de triomphe, vient s’asseoir sur sa chaise curule. Tiridate s’agenouille devant lui, et le peuple, façonné aux acclamations solennelles, le salue d’une clameur si grande, que le barbare en est épouvanté. « Seigneur, dit ce roi d’Orient au citoyen de Rome Œnobarbus, le descendant d’Arsace, le frère des rois parthes vient se reconnaître ton esclave ; tu es mon dieu, et je suis venu t’adorer comme j’adore le soleil, le dieu invaincu, Mithra. Tu es mon destin et ma fortune. » Néron reprit : « Tu as eu raison de venir me demander la couronne ; ce que n’ont pu te faire tes frères ni ton père, je te fais roi, afin que l’univers sache que j’ôte et donne les royaumes. » Tiridate alors monte près du trône, baise les genoux de Néron, qui lui ôte sa tiare et lui met le diadème.

Tiridate repartit avec 100,000,000 sesterces donnés par Néron (ce rusé barbare avait su se faire payer son hommage), n’en méprisant pas moins le prince qu’il avait vu jouer sur le théâtre, et qu’il voyait courir sur l’arène avec l’habit vert et le bonnet des cochers. Ce qui nous étonne aujourd’hui dans la vie de cette société, l’étonnait lui-même : il ne comprenait pas que l’âpre soldat, le vieux Romain, Corbulon, restât l’humble sujet de ce comédien ; la royauté despotique de l’Orient elle-même ne lui avait pas révélé le secret de l’incompréhensible asservissement des Romains. « Tu as un bon serviteur dans Corbulon, » mot dont Néron ne comprit pas l’ironie.

Mais Rome a vu assez de fois les triomphes de Néron. La Grèce, patrie des arts, a besoin de lui comme lui d’elle ; chaque jour des députés de ses villes viennent lui apporter des couronnes pour des com-