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voie par l’Égypte, c’est parce que les Anglais ont toujours aimé le chemin le plus court. Mais si la Russie ne peut lutter de long-temps avec l’Angleterre pour la prépondérance dans l’Inde, elle peut, par sa situation, nous rendre défavorables la Perse et les petits potentats de l’Asie, et c’est déjà beaucoup. Ne vous étonnez donc pas si nous cherchons à nous prémunir contre ces tentatives, en nous donnant des points d’appui et de défense à Karek, à Bouchir, et en explorant, depuis la frontière de l’Indoustan, l’Indus, dont le cours nous mènerait dans le royaume de Lahor et au Turkestan. Il y a là une foule de petits princes ou de khans, et les Russes seuls peut-être connaissent leurs ressources et savent tous leurs noms. La réunion des khânats de Boukhara, de Khiva, de Chersebz, de Hissar, d’Ankoï, de Balkh, de Koulm, de Kondouz, de Thalikhan, de Badakchan, de Dervazeh, de Koulab, d’Abi-Gherm, de Ramid, de Ghaltcha, de Khokand, et d’autres dont je vous épargne la nomenclature, occupe une étendue de terrain qui égale bien celui de la confédération germanique, et vous voyez, quant au nombre, que ces têtes couronnées ou mitrées rempliraient autant de bancs qu’il peut y en avoir dans la salle de la diète de Worms ou de Ratisbonne. Or, ce pays et cette pléiade de royaumes, grands et petits, se trouve précisément entre l’Inde anglaise et la Russie ; et les marchandises des deux nations s’y livrent une guerre qui deviendra chaque jour plus acharnée. Au reste, c’est un beau champ de bataille que l’Asie centrale, et l’Europe serait très heureuse si l’Angleterre et la Russie s’en allaient vider leurs différends dans ce coin.

Les ballots russes se dirigent sur la Boukharie et à Khiva par Orenbourg et Troitsk. Une caravane, de douze à treize cents chameaux, part tous les ans au mois de janvier, et porte du velours, du brocard, du fil d’or, des cuirs, des fourrures. Pendant beaucoup d’années, ces caravanes ne trafiquaient que de marchandises anglaises ; mais le développement que prennent les fabriques des Russes leur permet aujourd’hui d’envoyer leurs propres draps, leurs brocards, leurs soieries et leurs coutelleries, et la lutte est commencée entre le commerce russe et le commerce anglais, qui s’avance, chaque année, à la tête d’une armée de deux mille chameaux, du côté de l’Inde. L’industrie russe a déjà un grand avantage, celui de sa proximité, qui s’augmente par les immenses foires annuelles de Nignovgorod ou de Makarieff, sur le bord de la Volga, où se rendent les Asiatiques, en remontant ce vaste fleuve depuis son embouchure, à Astrakan. Ajoutez que les marchandises russes ont quatre routes à choisir pour