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LETTRES POLITIQUES.

se rendre en Boukharie : d’Astrabad en Perse en traversant la mer Caspienne, d’Astrakan, sur la mer Caspienne, en traversant la Khivie, voyage de trente jours seulement ; d’Orenbourg et de Troitsk, par le désert de Petropawlosk, en sorte que tous les produits des différentes parties de l’empire peuvent directement aboutir au même point. Il nous reste, il est vrai, l’avantage de la supériorité de nos produits ; mais n’oublions pas les moutons du roi d’Espagne !

Je vous ai promis d’être juste. J’avouerai donc que, dans l’Asie centrale, ce n’est pas la Russie qui cherche à déloger l’Angleterre. Les relations de la Russie avec la Khivie et la Boukharie datent de loin. Pierre-le-Grand, qui voyait et prévoyait tout, ouvrit des routes du midi de l’empire en Asie, et ce sont ces routes, tracées de la main de Pierre, que parcourent à cette heure les caravanes de la Boukharie. Mais, encore une fois, les Russes étaient alors les commissionnaires des autres nations européennes, et particulièrement de l’Angleterre ; et tandis que le génie de Pierre-le-Grand avait ouvert une route depuis Moscou jusqu’en Boukharie, le génie commercial des Anglais avait déjà découvert la route de Londres à Moscou. Voyant donc les quatre routes de la Russie vers l’Asie centrale se couvrir de produits russes, l’Angleterre se met aussi à chercher de nouvelles routes, et s’efforce d’arriver là plus commodément que par la péninsule de l’Inde. Elle garde cette voie, il est vrai, mais elle s’efforce de pénétrer par Alexandrie vers l’Inde d’abord, puis elle travaille à la sûreté de sa route par Trébizonde et Erzeroun jusqu’à la Perse, où les deux industries se trouvent aussi en présence. Or, la possession de Constantinople donnerait le port de Trébizonde à la Russie, et c’est une des portes par lesquelles nous entrons en Orient. Jugez si l’Angleterre doit avoir à cœur de maintenir l’état actuel des choses, quelque peu satisfaisant qu’il soit déjà !

Ce n’est donc pas dans l’Inde ni pour l’Inde qu’aura lieu la véritable lutte de l’Angleterre et de la Russie ; c’est dans l’Asie centrale et pour l’Asie centrale, où la Russie peut nous inquiéter de plus d’une manière. L’Europe doit désirer que la guerre se vide par là, s’il est possible, car il serait question du golfe Persique et du grand désert salé, tandis qu’en Turquie, à Constantinople, c’est la Méditerranée qui serait l’enjeu, et là la Russie se placerait alors, et de très près, en face de la France. Vous avez très bien dit qu’il n’y a pas de compensations pour la France dans un pareil cas. Le Rhin est une chose, et la Méditerranée est une autre. En s’assurant le Rhin, la France gagne une frontière territoriale dont elle a grand besoin ; en souffrant l’établisse-