de mise depuis l’invention de la poudre. Rarement, aujourd’hui, un officier tire son sabre lorsqu’il a un long chemin à faire avant de s’en servir. Il est vrai que ces sabres nus sont à leur place dans le troisième tableau, qui représente l’assaut ; mais plusieurs des braves jeunes gens qui les portent me semblent trop préoccupés des regards des belles dames de Paris. Malgré le courage si connu des officiers français, y en a-t-il beaucoup aujourd’hui qui s’écrient sur une brèche, comme les preux d’autrefois : « Ah ! si ma dame me voyait ? » Le hasard m’a fourni quelquefois l’occasion de voir des gens très braves courir des dangers fort réels, et je pouvais d’autant mieux les observer que j’étais moi-même parfaitement à l’abri et spectateur tout-à-fait désintéressé. Toujours j’ai fait la même remarque : c’est une extrême attention, une préoccupation sérieuse qu’exprime le visage des plus intrépides. On ne manquera pas de me citer des exceptions, je le sais, et dernièrement on me montrait, dans un salon de Paris, un jeune officier qui, tout en gravissant des premiers la brèche de Constantine, boutonnait des gants glacés un peu étroits, pestant contre la marchande de la rue de la Paix. J’aimerais mieux trouver ici cette insouciance moitié comique, moitié sublime, que l’air de mélodrame de cet officier, par exemple, qui, portant une immense échelle, se retourne comme pour se faire admirer par ses compagnons moins avancés que lui. En revanche, il est juste de remarquer le naturel parfait d’une bien plus grande quantité de figures. On croit voir le mouvement de toute cette foule ; on dirait qu’elle s’agite sous vos yeux. Je citerai comme un excellent épisode ce soldat qui se retourne furieux parce qu’un de ses camarades, s’accrochant à lui, va lui faire perdre l’honneur d’arriver à un aussi bon rang qu’il le prétendait. L’homme qui s’accroche a ses raisons : une balle vient de lui traverser la tête. Jamais je n’aurais fini si je voulais rappeler ici tous les traits d’observation exquise qui fourmillent dans cette composition comme dans les trois autres. Si M. Vernet va un dimanche au Musée, il entendra des éloges bien flatteurs, parce qu’ils sont justes, de la bouche des soldats qui s’arrêtent en foule devant ses tableaux. Il est et doit être leur peintre favori. C’est lui qui fait leurs bulletins. Je dois pourtant lui communiquer la critique d’un vieux caporal basané par le soleil d’Afrique, dont je suivais avec intérêt les observations, c’est que la brèche de Constantine n’était pas si raide que cela. En effet, soit que les règles de la perspective aérienne n’aient pas été bien observées, soit que le point de vue n’ait pas été convenablement choisi, le talus ressemble à un mur presque vertical.
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