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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/102

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REVUE DES DEUX MONDES.

Lumley Ferrers, le machiavéliste constitutionnel, et Castruccio Cesarini, l’envieux au génie méconnu. Des noms furent placés sous les portraits ; on remarqua particulièrement l’oubli de Bulwer qui ne parlait pas de sa femme, et attirait toute l’attention et tout l’intérêt du roman sur le personnage d’une jeune maîtresse, villageoise naïve, Alice Lee. La société anglaise, curieuse comme une prude, et bavarde comme une prude curieuse, n’eut de repos que lorsqu’elle eut découvert son Alice Lee. La voilà qui se met à creuser, qui fouille, qui scrute, qui demande, qui s’agite, qui nage entre deux eaux, qui babille, consulte, et finit par trouver ce qu’elle cherche. Il paraît que Bulwer, le lion dandy, avait en effet élevé de ses propres mains et tenu en réserve, pour sa personnelle satisfaction, une jeune fille du peuple qu’il avait abandonnée indignement, selon ses ennemis, mais qui l’avait quitté volontairement selon ses amis. Les conquêtes, les torts, les crimes, les succès, comme vous voudrez, de l’honorable baronnet, ne se bornaient pas là ; on nommait d’autres femmes du monde ; c’était quelque chose de semblable à la fameuse liste de don Juan. Les duchesses y donnaient la main aux bourgeoises, et c’était une sarabande de victimes.

Cependant la troupe parlementaire à laquelle Bulwer commandait, continuait ses attaques contre le pouvoir et ses mouvemens politiques. Grand défenseur des lettres, représentant de la presse, il s’emparait d’une situation nouvelle pour son pays ; situation exceptionnelle, très fausse, mais très habile, téméraire en apparence, facile en réalité. M. Bulwer n’est pas un personnage maladroit. Il voyait le penchant sur lequel roulait la Grande-Bretagne, il la sentait disposée à accepter un jour l’aristocratie du talent, et prenant le radicalisme pour rempart, le talent pour arme, il créait sa position. Qui donc aurait osé attaquer ses mœurs, se plaindre de lui, même dans cette mère-patrie de la pruderie et de l’étiquette ? Il dispose de plusieurs journaux, commande à quelques revues, influe sur presque toute la presse, et se rattache à une fraction des communes, que la voix populaire rend importante ? Qui sonnera l’hallali contre ce roi de la forêt ? Qui le poursuivra, je vous le demande ? — Qui ? — Ce sera le personnage domestique le plus audacieux et le plus incommode quand il se mêle de l’être ; ce sera sa femme ! Mme Bulwer, aujourd’hui lady Bulwer, ne voulut pas souffrir que les choses se passassent ainsi, que son mari restât glorieux et impuni ; don Juan marié, Lovelace sans vengeur, couronné par le laurier populaire, époux infidèle, moraliste admiré, chef de parti magnifique, philosophe sans contradicteurs. Il