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ont bonne grace à s’en servir. Ceux-là, s’ils savaient par quel mensonge hardi, insensé presque, il m’a fallu acheter le repos et la considération de mes vieux jours, chargeraient ma tête d’une lourde accusation, je le sais ! Ne leur empruntons donc pas le langage d’une tendresse étroite et banale. Mon affection pour les enfans de ma race a été un sentiment plus grave et plus fort.

LE PRÉCEPTEUR.

Un sentiment passionné !

LE PRINCE.

Ne me flattez pas, on pourrait aussi bien l’appeler criminel ; je sais la valeur des mots, et n’y attache aucune importance. Au-dessus des vulgaires devoirs et des puérils soucis de la paternité bourgeoise, il y a les devoirs courageux, les ambitions dévorantes de la paternité patricienne. Je les ai remplis avec une audace désespérée. Puisse l’avenir ne pas flétrir ma mémoire, et ne pas abaisser l’orgueil de mon nom devant des questions de procédure ou des cas de conscience !

LE PRÉCEPTEUR.

Le sort a secondé merveilleusement jusqu’ici vos desseins.

LE PRINCE, après un instant de silence.

Vous m’avez écrit qu’il était d’une belle figure ?

LE PRÉCEPTEUR.

Admirable ! C’est la vivante image de son père.

LE PRINCE.

J’espère que son caractère a plus d’énergie ?

LE PRÉCEPTEUR.

Je l’ai mandé souvent à votre altesse ; une incroyable énergie !

LE PRINCE.

Son pauvre père ! C’était un esprit timide… une ame timorée. Bon Julien ! quelle peine j’eus à le décider à garder ce secret à son confesseur au lit de mort ! Je ne doute pas que ce fardeau n’ait avancé le terme de sa vie…

LE PRÉCEPTEUR.

Plutôt la douleur que lui causa la mort prématurée de sa belle et jeune épouse…

LE PRINCE.

Je vous ai défendu de m’adoucir les choses ; monsieur l’abbé, je suis de ces hommes qui peuvent supporter toute la vérité. Je sais que j’ai fait saigner des cœurs, et que ceci en fera saigner encore !…