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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/129

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LETTRES POLITIQUES.

tions contraires, mais dont les formes mêmes s’opposent à l’exécution rapide des conceptions politiques, et au secret que demandent certaines combinaisons.

Je veux seulement vous rappeler ce qui se passa à Constantinople au sujet du traité d’Unkiar-Skelessi, et vous me direz si notre gouvernement et le vôtre n’ont pas beaucoup à faire pour rendre la partie égale. Vous n’avez pas oublié qu’à l’époque où Ibrahim-Pacha menaça Constantinople, le divan s’adressa alternativement à l’Angleterre et à la France. Les politiques turcs, plus avec lui qu’on ne le pense dans nos pays respectifs, comprenaient très bien que la prudence voulait qu’on n’eût recours qu’à des puissances éloignées, et qui auraient intérêt à maintenir l’empire ottoman tel qu’il était. Vous savez comment l’Angleterre entendit alors ses intérêts. Elle refusa son appui, et cet acte lui fut, je le dis, plus funeste que la bataille de Navarin. La France imita l’exemple de l’Angleterre, et rappela son ambassadeur, qui avait eu la pensée de proposer à la Porte une convention toute semblable à celle que la Russie a fait signer depuis. La France ne jouissait pas alors de son libre arbitre ; elle n’était pas entièrement maîtresse de sa politique comme l’était l’Angleterre, et son système d’alliances, encore mal assis, pouvait l’empêcher de vouloir s’engager trop avant dans les affaires de l’Orient. Peut-être aussi s’exagérait-elle alors l’importance du pacha d’Égypte, et les avantages des bons rapports qu’elle entretenait si soigneusement avec lui. Toujours est-il, quels que soient les motifs, que la Porte fut abandonnée par ses deux alliés, et que la Russie fit avancer l’escadre de Sébastopol et un corps de troupes pour la secourir. C’est à cette époque que le comte Alexis Orloff, que nous venons de voir à Londres avec le grand-duc impérial, arriva à Constantinople. Le comte Orloff, que j’ai eu souvent l’occasion de contempler dans nos cercles, il y a deux mois, est, à mes yeux, la représentation vivante de la Russie. Sa taille gigantesque, sa force, sa puissance corporelle, répondent déjà à l’idée que nous nous faisons de l’empire russe, idée que complètent ses formes militaires. Son visage est ouvert, sa parole est nette, son accent porte un caractère de franchise, et cependant au fond de cette large poitrine, sous cette apparence si simple et si naturelle, se cachent profondément tous les secrets de la politique russe et les desseins inconnus que se transmettent tous les empereurs depuis Pierre-le-Grand. Un seul mot vous fera connaître l’importance du rôle que joue en Russie le comte Orloff. Sans portefeuille, sans ministère, n’ayant que le titre d’aide-de-camp-général de l’empereur,