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REVUE DES DEUX MONDES.

ne peuvent être que des livres païens ou hérétiques ! Tenez, en voici un des moins gros que j’ai mis dans ma poche pour vous le montrer.

FRÈRE CÔME, ouvrant le livre.

Thucydide ! Oh ! nous permettons cela dans les colléges… Avec des coupures, on peut lire les auteurs profanes sans danger.

SETTIMIA.

C’est très-bien ; mais quand on ne lit que ceux-là, on est bien près de ne pas croire en Dieu. Et n’a-t-elle pas osé soutenir hier à souper que Dante n’était pas un auteur impie ?

BARBE.

Elle a fait mieux, elle a osé dire qu’elle ne croyait pas à la damnation des hérétiques.

FRÈRE CÔME, d’un ton cafard et dogmatique.

Elle a dit cela ? Ah ! c’est fort grave ! très grave !

BARBE.

D’ailleurs, est-ce le fait d’une personne modeste de faire sauter un cheval par-dessus les barrières ?

SETTIMIA.

Dans ma jeunesse, on montait à cheval, mais avec pudeur, et sans passer la jambe sur l’arçon. On suivait la chasse avec un oiseau sur le poing ; mais on allait d’un train prudent et mesuré, et on avait un varlet qui courait à pied tenant le cheval par la bride. C’était noble, c’était décent ; on ne rentrait pas échevelée, et on ne déchirait point ses dentelles à toutes les branches pour faire assaut de course avec les hommes.

FRÈRE CÔME.

Ah ! dans ce temps-là votre seigneurie avait une belle suite et de riches équipages.

SETTIMIA.

Et je me faisais honneur de ma fortune sans permettre la moindre prodigalité. Mais le ciel m’a donné un fils dissipateur, inconsidéré, méprisant les bons conseils, cédant à tous les mauvais exemples, jetant l’or à pleines mains ; et, pour comble de malheur, quand je le croyais corrigé, quand il semblait plus respectueux et plus tendre pour moi, voici qu’il m’amène une bru que je ne connais pas, que personne ne connaît, qui sort on ne sait d’où, qui n’a aucune fortune, et peut-être encore moins de famille.

FRÈRE COME.

Elle se dit orpheline et fille d’un honnête gentilhomme ?