Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/253

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
249
RECHERCHES HISTORIQUES.

le nom de conditionales, et sont appelés dans nos anciennes coutumes conditionnés et gens de condition, parce qu’ils ne jouissaient que sous des conditions plus ou moins onéreuses de la liberté ou du patronage qu’ils avaient obtenu. Quelquefois ces conditions se réduisaient à de simples marques extérieures de respect ou de soumission. Ainsi, en 615, Bertramnus, évêque du Mans, après avoir donné par testament la liberté à plusieurs serfs, tant romains que barbares, et les avoir mis sous la protection de l’abbaye de Saint-Pierre-de-la-Couture, leur prescrit de se réunir tous les ans, le jour de sa mort, dans l’église de cette abbaye, et, pour tenir lieu d’offrandes de leur part, de raconter, au pied de l’autel, le présent de la liberté et les autres dons qu’il leur a faits ; puis, de remplir pendant ce jour l’ancien ministère dont chacun d’eux avait été chargé avant son affranchissement, et de prêter en même temps assistance à l’abbé. Le lendemain, celui-ci devait à son tour les convier à un repas, après lequel ils retourneraient chez eux, pour y vivre en paix sous la protection de l’église[1] : cérémonie pieuse et touchante, digne de la charité chrétienne, qui seule en pouvait inspirer l’idée, et dont le but était, non plus de témoigner orgueilleusement de l’inégalité des conditions sociales, mais de perpétuer avec le souvenir des bienfaits de l’ancien maître la reconnaissance de l’ancien esclave ! Elle unissait de cette manière le patron à l’affranchi, non pas avec des chaînes pesantes, mais avec les seuls liens du respect, de l’attachement et de la religion.

Enfin, on peut mettre au nombre des hommes libres sans juridiction ni propriété, ceux qui, n’ayant pas de quoi subsister, prenaient le parti, pour s’assurer la nourriture et le vêtement, de se recommander aux gens riches, en s’engageant pour la vie, envers eux, au service des ingénus.

Les serfs auxquels on donnait, avec la liberté, quelques biens en propre, devenant ainsi propriétaires, appartenaient à la seconde espèce d’hommes libres dont nous avons parlé ; il en était de même des hommes libres propriétaires qui se mettaient au service d’autrui, ou qui cultivaient, avec leurs propriétés, des terres étrangères. Mais on doit rapporter à la troisième espèce ceux qui n’avaient d’autres terres que celles qu’ils prenaient à bail, moyennant un cens et des services déterminés. Leur témoignage était reçu en justice dans toutes les questions, excepté dans celles de propriété. Le service de guerre

  1. Testam. Bertramn. Episc. Cenom., dans Bréq. pag. 113.