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elle a voulu être, non pas un recueil qu’on feuillette seulement à mesure de sa publication, et qu’on consulte çà et là ensuite, mais plutôt un livre qu’on puisse relire et qu’on lise toujours. Y a-t-elle réussi ?

Nous disions tout à l’heure que beaucoup d’ouvrages remarquables de ce temps-ci étaient nés au sein de la presse. La Revue des Deux Mondes a aussi donné la publicité première à plusieurs travaux qui depuis sont devenus des livres. C’est ainsi que les Portraits de M. Sainte-Beuve, que l’Allemagne et Italie de M. Quinet, dont nous voulons d’abord parler aujourd’hui, sont bien plutôt des ouvrages véritables que des collections de mélanges littéraires sans rapport et sans cohésion. Nos lecteurs sont trop familiarisés avec les appréciations délicates de M. Sainte-Beuve, avec la prose élevée de M. Edgar Quinet, pour que nous ayons besoin d’énumérer les morceaux contenus dans ces deux publications. Il suffira, et il sera aussi convenable d’en rappeler seulement ici le caractère et d’en indiquer à la hâte et un peu au hasard quelques traits distinctifs.


Nouveaux Portraits littéraires, par M. Sainte-Beuve[1]. — Les cinq volumes des Critiques et Portraits, de M. Sainte-Beuve, dont les deux derniers viennent de paraître, composent maintenant, par leur étendue et leur variété, une galerie littéraire presque complète des principaux écrivains français des deux derniers siècles, et de nos plus célèbres contemporains. Les trois ou quatre premiers morceaux du volume publié en 1832, ont seuls gardé l’empreinte de la vive polémique du Globe, à laquelle M. Sainte-Beuve s’était mêlé avec toutes les jeunes illusions, avec toute la verte ardeur d’un grand talent au début. Les portraits suivans ont perdu de plus en plus le caractère théorique, pour devenir des notices littéraires, pleines de vues morales, d’aperçus élevés, et où les appréciations fines de détail et d’ensemble sont merveilleusement mêlées à la biographie des écrivains. M. Sainte-Beuve, avec la perspicacité singulière de son esprit et la prodigieuse souplesse de son talent si original et si délicat, a introduit dans la critique une manière personnelle, un procédé nouveau et propre, qui, nous le croyons, sont appelés à faire date en histoire littéraire. Ce n’est plus seulement l’érudition maligne et un peu bavarde par pédantisme, qu’on rencontre dans Bayle ; ce ne sont plus seulement les spirituels, mais étroits et évasifs points de vue de Fontenelle ; pas plus enfin l’estimable rhétorique de La Harpe ou de Marmontel, que les froides énumérations de Ginguené. L’art, un art profond, donne à tous ces portraits une valeur créatrice, et nous pensons qu’en peignant avec une si étonnante ressemblance, avec une habileté si consommée, Molière, La Bruyère et tous ces autres grands écrivains, l’honneur de la France, M. Sainte-Beuve a pour toujours attaché son œuvre à leur gloire. Quand ces études auront été complétées par quelques noms qui manquent encore, par le cardinal de Retz, par exemple, et Lesage, placés l’un au seuil, l’autre à la dernière limite du règne de

  1. vol. in-8o. 1839, chez F. Bonnaire, rue des Beaux-Arts, 10.