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grand, et disons un très légitime éloge, qui nous permet bien des critiques. On a vite fait le compte dans un siècle des écrivains qui ont eu un style distinct et une manière à eux. Sans doute il y a dans M. Janin toute une partie factice, de métier ; il a l’enivrement de la forme, et il prend plaisir à précipiter sans pitié ses idées dans les abîmes, comme ces esclaves que les empereurs romains jetaient aux lamproies.

M. Janin, qui a écrit d’excellentes pages de critique contre nos défauts littéraires, en a cependant lui-même gardé l’empreinte, et bien des auteurs qu’il a plus d’une fois spirituellement fustigés auraient pu lui répondre : iisdem in armis. Mais si ses défauts reviennent toujours les mêmes, ses qualités, en revanche, se transforment merveilleusement et à plaisir. Il a de l’esprit pour toutes les rencontres, pour les bonnes plutôt que pour les mauvaises passions ; il a des larmes touchantes et sincères pour les amis ou les talens enlevés trop tôt ; pour Béquet, ce sobre écrivain dont la notice est charmante ; pour Johannot et la princesse Marie, deux artistes frappés avant l’âge. Le voici, la lance en main, comme un chevalier du moyen-âge, frappant, avec une éloquence ardente, ferme et souvent élevée, les ignobles parodies de l’abbé Châtel ou les immondes écrits du marquis de Sade[1] ; puis, comme sur l’âne goguenard de Sancho, il montre au doigt les mœurs et les ridicules, il suit le Parisien dans les cloaques de sa grande cité, dans ses petits métiers, partout, jusque chez les marchands de chiens. Si vous croyez que ce sont là toutes ses promenades, vous n’êtes point au bout, et vous le retrouverez tout à l’heure faisant, sur quelque cheval de bois, comme Xavier de Maistre sur son fauteuil, le tour de l’atelier de Charlet, de la boutique de fleurs de Mme Prévost, de la prison pour dettes de Clichy.

Les Catacombes contiennent aussi plusieurs nouvelles comme la Sœur-Rose, le Mariage Vendéen, et la Comtesse d’Egmont, nouvelles quelque peu fantastiques, assez bizarrement présentées, mais pleines d’une verve spirituelle qui va toujours en avant, s’inquiétant peu, après tout, de l’histoire à raconter. Le récit vient quand il peut ; mais en attendant, l’auteur s’arrête à toutes les belles fleurs qu’il rencontre, ramasse de beaux cailloux dans tous les ruisseaux, et se perd à tous les détours des sentiers pour se retrouver bientôt. Cela impatiente quelquefois, mais on ne s’en aperçoit guère, parce que M. Janin vous fait oublier la longueur de la route, comme aux enfans qui marchent plusieurs lieues quand on les amuse à sauter les fossés. Pétrone, Apulée, Martial, seraient peut-être un peu étonnés de ce que leur fait dire M. Janin, et de cette

  1. Je trouve dans l’Almanach des Muses de 1794 un très curieux quatrain sur Marat, signé Sade, et que j’indique à M. Janin. Un pareil poète convenait merveilleusement à un tel héros :

    Du vrai républicain unique et chère idole,
    De ta perte, Marat, ton image console ;
    Qui chérit un grand homme adopte ses vertus ;
    Les cendres de Scévole ont fait naître Brutus.