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REVUE. — CHRONIQUE.

indiqués dans la situation des ports, suffirait pour fournir une seconde escadre assez forte pour faire respecter nos intérêts, nos droits et notre pavillon.

Le discours dont nous parlons, porte entièrement sur le commerce de la France avec l’Orient ; c’est pourquoi nous le regardons comme le discours le plus véritablement politique qui ait été prononcé dans cette discussion où presque tous nos hommes d’état ont pris la parole. L’Orient, M. Denis l’a bien dit, n’a été regardé long-temps par la France que comme une suite de ports, si bien caractérisés par nous, sous le nom d’échelles du Levant, et où nous trafiquions avec plus de facilité que les autres nations européennes. C’était là tout ce qui nous intéressait en Orient. Depuis, nous avons dû nous enquérir de la vie politique, de la tendance, de l’origine des peuples d’Orient ; car le bruit des coups sourdement frappés par la Russie est venu jusqu’à nous, et nous avons été forcés de la suivre, de loin du moins, dans l’étude qu’elle fait si profondément des affaires intérieures de l’empire turc, et de l’état de ses différentes localités. Sous la restauration, une première faute a été commise, selon M. Denis, en suivant avec les puissances barbaresques, dépendantes de la Porte, un système qui a rompu et morcelé nos précieuses relations directes avec la Porte. Une faute non moins grave de la politique française a été la demande d’abolition du monopole, que la France, poussée par l’Angleterre, a sollicitée et obtenue. M. Denis a prouvé, en effet, que ce monopole était exactement celui que nous exerçons à l’égard de nos colonies, et que s’il nous semble bon de l’admettre là, il pourrait être bon de l’admettre ailleurs. Non content d’avoir nui à l’intérêt général de son commerce, le gouvernement français, toujours généreux aux dépens des intérêts de ses administrés, envoya deux escadrilles détachées de l’escadre d’Alger pour obliger les deys de Tunis et de Tripoli à accepter des traités dans lesquels la France stipulait pour toutes les nations, ne se réservant aucuns droits particuliers, contrairement aux usages suivis par toutes les puissances en pareil cas. Ces traités ruinèrent le commerce français en Afrique ; et, plus tard, le principe de l’abolition du monopole, qui était tout favorable à la France, fut invoqué partout à notre détriment par les puissances rivales. Son adoption établie, grace à nous, met aujourd’hui en péril, et a déjà frappé de décadence toutes nos relations commerciales avec l’Égypte, la Syrie, l’Asie mineure, et les autres provinces de la Turquie. Or, il s’agit d’un mouvement commercial d’exportation et d’importation qui se monte à 160 millions. Si cette source de richesse achève de se tarir, on ne saurait dire jusqu’où s’étendra la crise financière dans nos ports et nos marchés de la Méditerranée ; et c’est à notre manque de politique arrêtée en Orient, depuis un demi-siècle, que nous devons cet état de choses !

Ces fluctuations, et surtout les dernières, nous ont frappés d’impuissance, en Égypte d’abord. Nos consuls y ont perdu leur influence dans les conseils politiques et industriels du pacha, où les ont remplacés successivement les deux consuls russes, M. Duhamel, aujourd’hui ministre à Téhéran, et M. de Médem, agens habiles, comme la Russie en oppose partout aux nôtres, qui sont loin de les égaler. En Syrie, notre influence était telle que, naguère encore, les marchandises anglaises qu’on voulait faire accepter dans cette contrée y