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étaient expédiées par Marseille. Depuis l’arrangement de Kutaya, qui remet la Syrie dans les mains du pacha d’Égypte, l’Angleterre s’est emparée des bénéfices du commerce et de presque toutes les transactions.

Pour Constantinople, pour Smyrne, pour la Turquie proprement dite, M. Jouffroy a pensé que, pour raviver notre commerce, une simple révision des tarifs suffirait, comme si une révision de tarifs n’était pas une affaire des plus majeures, à laquelle tous les prédécesseurs actuels de l’amiral Roussin, et l’amiral lui-même, n’ont pu parvenir, malgré le zèle de cet ambassadeur. Pour le dernier traité de commerce exigé par l’Angleterre, souscrit par la France, et auquel d’autres puissances se voient forcées d’accéder, M. Denis en juge en deux mots la portée. L’Angleterre a eu pour but de porter atteinte à notre commerce dans le Levant, et en même temps de se faire une arme contre Méhémet-Ali s’il refusait d’admettre le monopole, ou de l’affaiblir en le forçant de l’accepter. Pour les Russes, M. Denis voit également leurs projets politiques dans leurs combinaisons commerciales, et il les montre luttant habilement avec l’Angleterre à Constantinople et à Alexandrie, où notre influence politique a subi les mêmes vicissitudes que notre commerce. M. de Carné nous avait montré quels résultats matériels aurait pour nous le blocus commercial de l’Égypte par l’Angleterre ; M. Denis nous montre, en perspective, notre commerce du Levant détruit par l’occupation russe de Constantinople, nos ports de la Méditerranée déserts, l’Orient fermé à nos capitaux, et notre marine militaire, qui ne s’alimente que par notre marine marchande, réduite à un état qui ferait de nous une puissance maritime secondaire.

Il y a bien loin du discours de M. Denis au discours de M. de Lamartine. L’illustre orateur regarde l’empire turc comme ayant déjà disparu de la terre ; c’est un spectre que le corps a abandonné, et sa chute sera si prompte, s’il faut en croire M. de Lamartine, que la France doit se hâter et prendre immédiatement en Orient une de ces positions maritimes et militaires comme l’Angleterre en possède une à Malte, et la Russie dans la mer Noire. Le statu quo commercial semblait, avec raison, à M. Denis désastreux pour la France ; M. de Lamartine assure que la France étouffe dans le statu quo politique, et qu’il faut se hâter de profiter de cette intervention devenue indispensable, pour en sortir. Si les idées de M. de Lamartine devaient mener à l’exécution des idées de M. Denis, il faudrait se hâter d’y applaudir ; mais un gage quelconque saisi en Orient ne rétablirait pas nos affaires commerciales, et la France a un parti à la fois plus énergique et plus prudent à suivre. Il y a quelques années, M. de Lamartine prononça, au sujet de l’Orient, un discours qui eut un grand retentissement dans cette partie du monde, et auquel répondit le Moniteur ottoman. La feuille turque reprochait à M. de Lamartine, voué au culte de la civilisation chrétienne et européenne, de ne pas vouloir admettre qu’il en existe une autre. Les Orientaux, devenus publicistes, lui demandèrent pourquoi il voulait étendre sur eux des institutions moins appropriées à leur sol et à leur nature que celles qu’ils possèdent. Ils se récriaient beaucoup contre les assertions de M. de Lamartine, qui avançait que le patriotisme leur était inconnu, et lui faisaient remarquer assez judicieusement que,