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LES ÎLES SANDWICH.

J’avouerai que nous fûmes presque tous désappointés : ce n’étaient plus là les insulaires de Cook, et, quoique l’influence de l’état sauvage dominât encore singulièrement dans la constitution physique et morale de chaque individu, ce n’était plus cette nature nue et sans fard que nous nous attendions à étudier. Ce fut cependant à cette première relâche que nous pûmes le mieux apercevoir les traces de ce qu’étaient les îles Sandwich lors de la découverte ; plus tard nous trouvâmes des villes presque européennes, et des populations presque aussi vicieuses que ceux qui les ont civilisées.

Un Portugais, qui habite l’île depuis très long-temps et que l’on aurait eu quelque peine à distinguer d’un sauvage, nous servit de pilote ; à midi, nous étions mouillés dans la baie de Ke-ara-Kakoua. Il y avait alors à l’entour de la Bonite plus de deux cents pirogues, et nous n’avions pas encore vu une seule femme. Cette absence du beau sexe nous surprit ; nous avions lu, dans les récits des divers voyageurs, qu’un navire à son arrivée se trouvait immédiatement entouré d’une foule de femmes, véritables naïades qui plongeaient et nageaient autour du vaisseau, indiquant aux matelots, par leurs gestes et leurs poses lascives, la terre et les plaisirs qui les y attendaient ; mais le pilote nous donna bientôt la clé du mystère : les navires, nous dit-il, sont tabous (sacrés) pour les femmes ; c’est une loi des missionnaires. Il nous cita en même temps diverses mesures prises par les missionnaires dans l’intérêt de la morale et de la religion : j’en parlerai en temps et lieu.

La baie de Ke-ara-Kakoua peut avoir quatre ou cinq lieues du nord au sud ; dans le fond est une espèce de crique formée par deux pointes de terre basse qui s’avancent dans la mer à droite et à gauche ; cette crique est dominée par une montagne ou muraille de lave noirâtre, haute de quatre ou cinq cents pieds et entièrement à pic. Sur la pointe qui s’étend vers la gauche, en regardant le fond de la baie, est le village de Kaava-Roa ; à droite, au milieu de nombreux cocotiers, nous apercevions le village de Ke-ara-Kakoua qui a donné son nom à la baie, et plus loin, vers l’extrémité de la pointe, un autre village dont je ne me rappelle pas le nom. En arrivant au mouillage, nous avions distingué, sur le sommet des terres hautes qui dominent la baie, quelques maisons parmi lesquelles une nous sembla bâtie à l’européenne : c’est, nous dit le pilote, la maison du missionnaire Forbes ; le village qui l’entoure s’appelle Kaava-Roa supérieur.

Dans l’après-midi, nous allâmes à Kaava-Roa. Nous eûmes quelque peine à débarquer ; cependant, lorsque nous approchâmes, une foule d’indiens se jeta à l’eau pour nous porter secours, et après quelques chutes sur les rochers qui bordent le rivage, nous nous trouvâmes en terre ferme. Le village de Kaava-Roa me parut composé d’une cinquantaine de maisons seulement ; quelques cocotiers, quelques arbres à pain en rendent l’aspect assez pittoresque. Une espèce de matelot anglais, homme d’affaires de la dame Kapiolani, chef de ce district, vint nous annoncer que sa maîtresse était prête à nous recevoir ; nous nous empressâmes de nous rendre aux désirs de la noble dame, et nous la trouvâmes assise en dehors de la clôture qui entoure sa maison, à