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de rochers de lave ; une roche servit de paravent aux baigneuses, et de là elles s’élancèrent entièrement nues au milieu des vagues qui venaient se briser sur le rivage ; une planche, de la longueur du corps et terminée en pointe à une des extrémités, leur servait à se soutenir sur la crête des vagues. C’était vraiment un singulier tableau que cet essaim de jeunes femmes s’éloignant à une grande distance du rivage, puis revenant avec la rapidité d’une flèche, portées sur la cime écumeuse des lames qui déferlaient avec fracas de chaque côté de la baie. Je croyais, à chaque instant, les voir s’abîmer contre les pointes aiguës des rochers ; mais elles évitaient ce danger avec une adresse surprenante ; elles semblaient s’y complaire, et le bravaient avec un courage qui m’étonna. Le moindre mouvement de leur corps donnait à la planche qui les soutenait la direction qu’elles désiraient lui voir prendre, et, disparaissant pour un moment au milieu des brisans, elles surgissaient bientôt de l’écume et retournaient au large pour fournir de nouveau la même carrière. Je vis une mère qui, après avoir placé son enfant, âgé d’un an à peine, sur une planche de deux pieds de long, le poussait devant elle à une grande distance, et là, l’abandonnant à la furie des flots, le suivait, dirigeant seulement de temps en temps avec la main la planche qui le portait. Je crus revoir cette population telle que Cook l’avait trouvée, libre, indépendante, et le contraste ne me parut pas, je l’avoue, en faveur du moment présent, quand je revis ensuite ces femmes couvertes de sales haillons.

Le soir, les difficultés que nous avions éprouvées en débarquant nous suggérèrent l’idée de retourner à bord de la Bonite sur une pirogue du pays. Nous avions pu apprécier, pendant la journée que nous venions de passer à terre, les avantages que ces embarcations légères et d’une manœuvre aisée ont, dans une mer houleuse, sur nos pesans canots. Nous nous plaçâmes tous les trois dans une pirogue de quinze pieds à peu près de long sur un pied au plus de large. Cette pirogue avait, ainsi que toutes celles des îles de l’Océanie, un balancier fait d’une pièce de bois léger, soutenu parallèlement à la pirogue par deux barres transversales de quatre ou cinq pieds de long. Nos Indiens attendirent ce qu’on appelle un embelli, c’est-à-dire le moment où les lames, qui arrivent ordinairement quatre ou cinq l’une après l’autre, semblent s’arrêter un instant ; alors, soulevant la pirogue au moyen du balancier, ils la traînèrent rapidement à une certaine distance du rivage ; puis, s’élançant sur leurs bancs et pagayant avec rapidité, ils purent, avant que la lame ne revînt, s’éloigner assez pour que nous n’éprouvassions que deux ou trois fortes ondulations. Nous arrivâmes sains et saufs à bord de la Bonite.

Le lendemain, je parlais à M. Forbes de l’habileté extraordinaire que j’avais remarquée, la veille, chez les naturels qui se livraient à l’exercice de la nage : « Vous ne pourriez vous en faire une idée exacte, me répondit-il ; ils sont plus à l’aise dans l’eau que sur la terre ; un Indien pourrait, ajouta-t-il, nager vingt-quatre heures sans s’arrêter. » Et, à l’appui de ce qu’il nous disait, il nous cita une aventure qui me parut trop intéressante pour que je l’omette ici.

Les naturels traversent fréquemment dans leurs pirogues les bras de mer