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LES ÎLES SANDWICH.

servent encore aujourd’hui à la campagne. Quelques personnes avaient des livres de prières imprimés à Honolulu et à Lahaina, en langue hawaiienne, et quand, suivant le rite presbytérien, M. Forbes entonna les psaumes du rituel, des voix, d’abord incertaines, et ensuite plus hardies, accompagnèrent celle du missionnaire. En somme, sauf quelques distractions causées sans doute par notre présence, sauf quelques coups d’œil agaçans des femmes qui se trouvaient près de nous, tout se passa assez décemment ; mais il était aisé de voir, cependant, que la plus grande partie des assistans était là par obligation. Kapiolani, ce jour-là, avait revêtu ses habits de fêtes ; sa robe était de satin noir, et elle avait sur la tête une capote en étoffe du pays, dont le luisant rappelait assez l’apparence du satin ; elle paraissait suivre avec attention le service divin dans le livre qu’elle avait devant elle ; sa contenance ne manquait pas d’une certaine dignité, et une paire de lunettes rabattues sur son nez lui donnait une figure qui, même à Owhyhee, nous parut très singulière.

Le lendemain, j’allai visiter le village de Ke-ara-Kakoua, en compagnie de M. Eydoux, chirurgien-major de la corvette, et de M. Hébert, attaché par le ministre du commerce au consulat des îles Philippines. Là, tout débarquement à pied sec était impossible ; nous fûmes obligés de nous mettre en quelque sorte à la nage pour arriver à terre, ce qui ne laissa pas que d’exciter l’hilarité de la population qui nous attendait au rivage. Il est certain que le costume du pays eût beaucoup mieux que le nôtre convenu à la circonstance. Nous fûmes immédiatement entourés d’un cercle de jeunes garçons et de jeunes filles. Quoiqu’à deux milles à peine de Kaava-Roa, la population de Ke-ara-Kakoua nous parut se ressentir beaucoup moins de l’influence du missionnaire. Nous pûmes le reconnaître sans peine à l’habillement des insulaires et à la conduite qu’ils tinrent avec nous. Ici tous les hommes avaient le corps nu, si l’on excepte les reins qu’entourait le maro ; les femmes n’étaient guère plus vêtues qu’eux. Mais ce qui nous prouva clairement que leurs actions n’étaient pas, aussi immédiatement que celles des habitans de Kaava-Roa, sous le contrôle de M.  et Mme Forbes, ce fut la manière dont les femmes nous accueillirent. Elles employèrent toutes les séductions possibles pour attirer notre attention et captiver nos bonnes graces ; il est vrai que les bagues et les colliers que ces messieurs distribuaient aux plus jolies n’étaient pas sans quelque influence sur leur bienveillante humeur. La gale semblait être une maladie dominante chez elles ; presque toutes en étaient plus ou moins atteintes ; cette circonstance, jointe à la couleur cuivrée de leur peau et à l’extrême malpropreté de leurs vêtemens, diminuait de beaucoup le prix de leurs attraits. Autant les hommes que nous avions vus jusque-là nous avaient semblé avoir de prédilection pour l’argent et les habillemens, autant les femmes, à Ke-ara-Kakoua, nous parurent avoir conservé ce goût que les premiers navigateurs avaient remarqué chez elles pour les colifichets ; un collier de verroterie, une bague de cuivre avec une pierre de couleur, les comblaient de joie.

Vers le milieu de la journée, nous eûmes le spectacle de toute la population femelle de Ke-ara-Kakoua, réunie pour le bain dans une petite baie bordée