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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/306

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REVUE DES DEUX MONDES.

Cette église est l’ouvrage d’un Anglais : c’est un bâtiment en pierre. Le clocher a 130 pieds d’élévation, 125 pieds de longueur, 48 de largeur, et 24 environ de hauteur sous le plafond ; l’intérieur de l’église est assez élégant, une large tribune de bois sculpté en fait le tour ; au-dessous de la tribune sont des bancs ; le pupitre ou chaire du missionnaire est en bois de koa, qui imite un peu l’acajou, sans en avoir les qualités. En définitive, on se croirait dans un temple d’Europe, et la plupart de nos villages sont loin d’avoir une église comparable à celle de Kailoua. Kouakini nous y conduisit lui-même ; il était très fier de ce qu’il appelait son monument, et semblait jouir de notre admiration. Il nous mena ensuite à sa maison, qui nous parut en tout semblable à celle de Kapiolani ; de longs rideaux d’indienne anglaise dérobaient aux regards profanes les appartemens secrets des femmes. Sur l’estrade d’honneur était étendue dans toute sa longueur une femme gigantesque vêtue d’une robe de satin bleu de ciel : jamais je n’ai rien vu de plus monstrueux, de plus hideux que cette femme ; c’était Mme Kouakini. Mme Kouakini avait, autant qu’on pouvait en juger, une taille d’au moins cinq pieds dix pouces, et elle était complètement ronde. Au reste, tous les chefs que j’ai vus m’ont paru gigantesques ; c’est chez eux une marque de basse naissance que d’être petit et grêle. M. Eydoux et moi, nous passions auprès des insulaires pour de grands personnages, et nous obtenions d’eux bien plus de respect que si nous n’eussions pas été en possession d’un embonpoint qui ne laissait pas de nous gêner sous cette chaude latitude. La vie que mènent les chefs convient on ne peut mieux à l’acquisition de cet embonpoint si désirable pour eux : ils passent, pour ainsi dire, leur vie, couchés, ne marchent que très rarement et mangent depuis le matin jusqu’au soir.

Une nombreuse cour entourait l’estrade d’honneur ; la jeune fille de Kouakini, vêtue de satin noir, était accroupie auprès de sa mère ; des femmes, balançant au-dessus des princesses des kahilés de plumes, les débarrassaient des mouches, qui en revanche venaient nous dévorer. Autour de la salle étaient étendus sur des nattes les principaux habitans de Kailoua. Kouakini prit place sur un sofa et nous fit signe, avec assez de dignité, de nous asseoir sur des chaises placées en cercle devant lui. Nous étions très altérés, car la chaleur était extrêmement forte, et nous avions passé au moins deux heures en canot ; mais Kouakini ne semblait pas s’en apercevoir. Lui qui, chaque fois qu’il venait à bord, y recevait mille politesses, et paraissait trouver excellens les vins qu’on ne manquait jamais de lui offrir, il ne songeait même pas à soulager le besoin bien visible que nous avions de nous rafraîchir. Nous fûmes obligés de lui demander de l’eau, et il se décida alors à nous faire servir du vin de Madère.

Nous eûmes, avant de partir, le plaisir de le voir prendre son repas en famille. Il se garda bien de nous inviter. Il prévoyait, sans doute, que nous nous serions difficilement accommodés de sa manière de manger ; en effet, rien n’est plus dégoûtant. La vue seule des mets qu’on servit eût suffi pour ôter l’appétit. Le repas consistait en viande de cochon bouillie, en poisson salé cru et