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LES ÎLES SANDWICH.

feuillée, puis des chants et les anciennes danses du pays ; les chanteurs et les danseuses devaient être vêtus comme avant la découverte. J’attendis le jour fixé avec impatience ; il arriva enfin. Nous nous réunîmes tous à la maison du roi, ceux du moins que le service ne retenait pas à bord. On partit à dix heures du matin. Nous formions une cavalcade d’environ trente ou quarante personnes. En tête était le roi, monté sur un très beau cheval blanc aux oreilles baies, et certes il eût été difficile de rencontrer un cavalier plus ferme et plus élégant à la fois. Nous marchions pêle-mêle, et, si les cavaliers du pays excitaient notre curiosité, nous les amusions aussi par notre manière de monter à cheval. Quelques-uns de nos jeunes officiers faisaient ce jour-là leur apprentissage, et, au bout d’une demi-heure de marche ou plutôt de course, leurs mouvemens n’étaient plus aussi aisés qu’au moment du départ. Tous les naturels, au contraire, qui nous accompagnaient étaient excellens cavaliers. Derrière nous couraient à pied une foule d’hommes et d’enfans qui nous suivaient quand nos chevaux étaient au galop, et qui nous devançaient lorsque nous allions au pas. Des serviteurs du roi formaient l’arrière-garde, montant leurs chevaux à nu ; ils me rappelaient par leur aplomb, je dirai même par leur gracieuse attitude, ces cavaliers romains que nous voyons sur les anciennes gravures.

Nous fîmes ainsi six ou sept milles au milieu d’une verte vallée, renfermée entre deux montagnes qui semblent avoir été réunies autrefois, tant il y a d’analogie et de rapport entre les divers accidens de terrain qu’on y remarque. À notre droite coulait une rivière ou plutôt un torrent. Caché le plus souvent à nos yeux, le torrent se montrait parfois, et nous voyions ses cascades argentées courir sur des rochers de lave noire. Nous pûmes juger de la fertilité du terrain que nous parcourions, à la vue des riches plantations de taro qui s’étendaient de tous côtés : cette racine, moins farineuse que la pomme de terre, doit produire immensément, car on m’a assuré qu’un petit champ qu’on me montrait, et qui pouvait avoir au plus 100 mètres de circonférence, pouvait nourrir une famille de sept à huit personnes, pendant toute l’année. À droite et à gauche, nous passions auprès des cabanes isolées des naturels, dont les faces bronzées venaient se montrer aux portes ; une herbe épaisse tapissait les parties non cultivées de la vallée, et les montagnes me parurent couvertes de ku-kuy, dont le feuillage argenté contraste avec les roches noirâtres au milieu desquelles il croît.

Nous arrivâmes enfin au terme de notre promenade. Nous avions constamment monté, pendant notre trajet, d’abord par une pente insensible et douce, plus tard au milieu de précipices que le roi descendait et gravissait avec une intrépidité remarquable ; mais, lors même que nous n’aurions eu pour but de notre promenade que le magnifique spectacle qui s’offrit à notre vue, nous aurions été plus que récompensés de nos fatigues. Au-dessus de nous, et s’élevant à une très grande hauteur, nous apercevions les sommets menaçans des montagnes, dont les pics nus et arides semblaient prêts à s’écrouler sur nos têtes ; derrière nous s’étendait la vallée d’Honolulu, et, à une très grande dis-