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moins le sandwichien, la conversation dut nécessairement languir. Pendant tout le temps que dura cette entrevue, je crus m’apercevoir que le roi, avant de répondre, semblait consulter Kinao ; le jeu de la physionomie de cette femme et la vivacité de son regard dénotaient en effet un caractère absolu.

M. Charlton, consul d’Angleterre, qui avait eu la bonté de nous accompagner, demanda au roi s’il lui serait agréable que quelques officiers de la corvette, qui se trouvaient présens, fissent son portrait ; il y consentit après avoir consulté de l’œil Kinao. Nos jeunes gens se mirent donc à l’œuvre, et une demi-heure après leurs albums contenaient des portraits assez exacts de Kauikeaouli et des princesses. On les leur présenta ; chaque femme ne parut que médiocrement satisfaite de son propre portrait, mais chacune rit beaucoup en voyant ceux de ses sœurs. L’entrevue finit par la promesse que fit le roi de venir, le lendemain, visiter la Bonite.

En effet, le 11, il vint à bord, accompagné de Kinao et d’un nombreux état-major ; il était en grand costume de Windsor et portait des plumes blanches à son chapeau : ce costume est un cadeau de George IV. On nous dit que ce n’était pas sans quelque crainte qu’il s’était rendu à bord de la corvette française, et qu’il appréhendait qu’une fois sur la Bonite, on ne lui fit quelque violence pour obtenir réparation du fait dont j’ai déjà parlé. Je serais fondé à croire que cette supposition était fausse ; dans tous les cas, l’accueil distingué qu’il reçut à bord de la Bonite dut le guérir de ses craintes, si toutefois il en avait conçu. Il voulut tout voir dans les plus grands détails, il demanda qu’on fît devant lui l’exercice du canon et du fusil ; mais ce qui l’amusa le plus, ce fut l’exercice du bâton, dans lequel plusieurs de nos matelots étaient maîtres.

Les goûts de Kauikeaouli, d’après ce que nous avons pu remarquer, sont tout-à-fait militaires ; il possède même quelques connaissances en marine, et remarqua la différence qui existait entre le gréement de la corvette et celui des différens bâtimens qu’il avait vus jusque-là. Il lui arrive souvent de faire des excursions dans les îles voisines sur son brick Harrietta, et il le conduit en partie lui-même. Malheureusement son éducation est toute matérielle, et le missionnaire Bingham, dont il a été l’élève, semble avoir pris à tâche de fermer son esprit aux connaissances qui lui eussent été le plus nécessaires pour apprendre à bien gouverner. Aussi est-il resté complètement, ainsi que je l’ai dit déjà, sous l’influence de sa belle-sœur Kinao, qui règne en son nom. Il a, du reste, de l’intelligence et de la mémoire, et ses questions, quelquefois judicieuses, révèlent un ardent désir d’apprendre et de connaître. Le moment viendra peut-être où il saisira lui-même les rênes de l’empire et demandera compte à Kinao de sa gestion et aux missionnaires de leurs conseils.

Kauikeaouli et sa suite quittèrent la Bonite parfaitement satisfaits de tout ce qu’ils avaient vu et de la réception qu’on leur avait faite.

Quelques jours après, le roi voulut donner une fête à l’état-major de la Bonite ; il chargea M. Charlton de m’y inviter, et je m’en félicitai, car la fête devait avoir lieu à la campagne, à deux lieues d’Honolulu, et être débarrassée, nous dit-on, de toute étiquette. Nous devions avoir un dîner sous la