taient en une espèce de récitatif ou de conversation cadencée, s’animant ou se ralentissant suivant le sujet qu’ils chantaient.
Le texte qu’ils avaient choisi ou qu’on leur avait donné était l’éloge du roi ; ils parlèrent d’abord de l’amour que les peuples lui portaient. « Une fleur, dirent-ils, croît sur le pic de la montagne. Lorsque les étoiles se cachent et que le soleil sort de la mer, elle se retourne d’elle-même et présente son calice à la rosée du matin. Nous gravissons jusqu’au sommet de la montagne, et nous cueillons la fleur pour porter à Kauikeaouli cette rosée salutaire. »
Puis ils vantèrent ses vertus guerrières. « Son cheval, disaient-ils, tourne la tête pour le regarder, car il sent qu’il ne porte pas un homme ordinaire ; sa lance est toujours rouge du sang du cœur de ses ennemis, et son casse-tête est hérissé des dents des guerriers qui sont tombés sous ses coups. Quand il parle, sa voix traverse les montagnes, et tous les guerriers d’Oahou accourent se ranger autour de lui, car ils savent que bientôt, avec un tel chef, leur pied marchera dans le sang. »
On voit que les poètes des îles Sandwich se permettent aussi quelques licences, et que les flatteurs de cour sont partout les mêmes. Kauikeaouli écoutait tout cela avec la plus grande indifférence, et ne semblait pas y attacher le moindre prix.
Mais ce qu’il y avait d’admirable dans ce chant qui, du reste, ne se composait que de deux ou trois notes, c’était l’accord parfait avec lequel les cinq chanteurs parlaient et gesticulaient. Il leur avait fallu sans doute de nombreuses répétitions pour arriver à ce degré de perfection. Tous les cinq prononçaient à la fois la même note, le même mot, faisaient le même geste et remuaient leur calebasse en parfaite cadence, soit qu’ils l’étendissent à droite ou à gauche, soit qu’ils la frappassent contre terre, lui faisant rendre des sons assez semblables à ceux d’une grosse caisse. On eût dit qu’ils étaient mus par le même ressort de pensée et de volonté. Quelquefois les gestes variaient et se multipliaient avec une inconcevable rapidité, et je n’ai jamais pu prendre ces hommes en défaut. Toujours la voix, les mains, les doigts, les calebasses, les corps des cinq chanteurs s’étendaient, s’agitaient, se balançaient par un mouvement spontané.
À ces chanteurs en succédèrent trois autres : ils étaient vêtus comme les précédens, mais des couronnes de feuillage ceignaient leurs fronts, le fruit jaune du pandanus odorantissimus, enfilé en colliers, entourait leurs cous et leurs bras. Tous les trois étaient admirablement bien faits et d’une beauté de visage rare dans ces îles. Ceux-ci chantèrent l’amour et ses jouissances, mais l’amour tel qu’on le sent aux îles Sandwich, un peu trop matériel peut-être, et cet amour s’exprimait par des gestes qui auraient pu paraître hasardés. La volupté la plus sensuelle respirait dans les regards, les gestes, les paroles et même le son de voix de ces jeunes hommes. Un instant leurs fronts se rembrunirent, ils agitèrent avec force les éventails de plumes qu’ils tenaient à la main gauche, et dont la base, formée d’une petite calebasse remplie de coquillages