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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/362

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REVUE DES DEUX MONDES.

qui venait de marcher sous les étendards des Guises. Théophile, l’homme de la cour qui passait pour avoir le plus d’esprit et de liberté dans l’esprit, représentait, aux yeux du peuple, les mœurs de la cour, aux yeux des moines, la vie de plaisir ; et tous ces gens eussent attisé la flamme qui eût brûlé devant Notre-Dame le huguenot épicurien.

Il faut nous arrêter un moment et étudier le mouvement intellectuel au milieu duquel Théophile, victime étourdie, se trouva jeté sans le savoir.

La réaction contre le spiritualisme chrétien, préparée depuis long-temps, avait éclaté au commencement du XVIe siècle : elle se continuait au XVIIe. Luther en avait été le héros, et Rabelais le bouffon. Avec les libres pensées s’introduisirent en France tous les vices de l’Italie corrompue. Le peuple se courrouça contre cette invasion. Le fanatisme de la ligue eut à combattre à la fois les impudicités de la cour, les raffinemens voluptueux des Florentins, les hardiesses théologiques de l’Allemagne et les prétentions suzeraines des gentilshommes de province. Ce ne fut donc pas seulement contre le protestantisme, mais contre l’orgueil, le luxe, la débauche, contre les poètes obscènes et les mœurs libertines, que le courroux de la bourgeoisie et des moines tonna pendant le cours du XVIe siècle et au commencement du XVIIe. Les gens de lettres furent enveloppés dans la même proscription : « À quoi servent-ils, demande Puyherbault, qui a écrit en latin, vers 1540, un livre oublié[1], mais rempli de détails de mœurs nécessaires à l’histoire ? À quoi sont-ils bons, ces écrivains, copistes de l’Italie ? À nourrir le vice et les loisirs de courtisans parfumés, de femmes dissolues ; à provoquer les voluptés, à enflammer les sens, à effacer des ames tout ce qu’elles avaient de viril. Nous devons beaucoup aux Italiens ; mais nous leur avons fait mille emprunts dont nous avons à gémir. Les mœurs de ce pays sentent le parfum et l’ambre ; les ames y sont amollies comme les corps. Ses livres n’ont rien de fort, rien de digne, rien de puissant ; et plût à Dieu qu’il eût à la fois gardé ses ouvrages et ses parfums !… Qui ne connaît Jean Boccace, et Ange Politien et Le Pogge, tous plutôt païens que chrétiens ? C’est à Rome que Rabelais a imaginé son pantagruélisme, vraie peste des mortels. Que fait-il, cet homme ? Quelle est sa vie ? Il passe les journées à boire, à faire l’amour, à imiter Socrate ; il court après la vapeur des cuisines ; il souille d’é-

  1. Theotimus, de tollendis malis libris ; 1549.