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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/372

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REVUE DES DEUX MONDES.

disaient mille biens de vous, depuis quelque temps se taisent et sont comme en doute de le dire. Ils craignent de s’estre mescontez en l’opinion qu’ils ont eue de vous, et d’avoir donné de leur réputation à faire valoir la vostre ; ainsi, comme si vous estiez incapable de la garder, ou honteux de l’avoir perdue, vous ne rendez aucun devoir à la conservation de cette bonne estime : vous n’avez plus une heure pour vos amis, ny pour vos exercices : tout se donne à une oysiveté bien nuisible à vostre avancement, et vous jouez le personnage du plus mesprisé de vostre sorte. La passion que vous eustes pour *** estait avec autant d’excez, mais avecque moins de malheur ; et puisqu’elle a sitôt cessé, vous n’en devez pas continuer une, beaucoup plus injuste. Vous verrez qu’insensiblement cette molesse vous abattra le courage : vostre esprit n’aimera plus les bonnes choses. — Tant que nous sommes dans le monde, obligés aux sentimens du mépris et de la louange, des commodités et de la pauvreté, on ne se peut passer du soin de sa condition. Remarquez, en la vostre, combien vous estes reculé de vostre devoir : combien le soin que vous avez est indigne de celui que vous devez avoir. Quel est le lieu où vous faites votre cour, au prix de celui où vous la devez faire ? Quelles sont les personnes que vous aimez, au prix de celles qui vous aiment ? Il vous est facile de vous ruiner. Ne vous obstinez point mal à propos, et ne vous piquez jamais contre vous-même. Vous estes opiniastre à vous travailler, et ne sçavez pas vous donner un moment de loysir, pour examiner vostre pensée. Souvenez-vous que ce qui vous allume davantage à cette frénésie, ce n’est qu’une difficulté industrieuse qu’on vous propose pour irriter votre désir, qu’une acquisition sans peine appaiserait incontinent. Sçachez que le temps vous ostera cette fureur, et que c’est une faiblesse bien honteuse d’attendre de la nécessité des années un remède qui vous coûtera cher. » — Il ne faut pas mépriser un homme qui écrivait ainsi avant Balzac et sous Richelieu. Avant Balzac, un tel style est digne d’estime ; sous Richelieu, un pareil ton est remarquable.

Cette voix ferme, amicale et courageuse était assurément propre à autre chose qu’à chanter la gaudriole ou à égayer une orgie, et il y a dans toute l’existence de Théophile une verdeur de courage et une fermeté de caractère que l’on n’a pas assez louées ni remarquées. Elles contribuèrent à le ruiner et à l’envoyer avant l’âge dans une tombe autrefois infâme, aujourd’hui obscure. On eut peur de lui, et dès que sa réputation de libertinage se fut répandue, la haine et l’hostilité éclatèrent : on voyait que cet homme n’était ni un étourdi ridicule comme les petits maîtres de la cour, ni un innocent glouton