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qu’on lui attribuait. Vaines précautions ! L’apostolat dont Balzac avait accusé son ancien ami était une charge bien autrement grave que la publication du Parnasse ; elle écrasait Viau de ce poids vague et redoutable qui tue un homme.

Personne ne le protégeait. Le courroux du roi, quelle qu’en fût la cause, n’était pas éteint ; la jalousie des uns, la sottise des autres, les passions bourgeoises, le fanatisme ligueur, l’intérêt des jésuites, concouraient à sa perte. Le peuple, dont la haine a toujours besoin d’un lieu-commun, demandait sa mort ; les prédicateurs hurlaient contre l’athée : « Maudit sois-tu, Théophile ! s’écriait Jean Guérin dans sa chaire, maudit sois-tu, Théophile ! maudit soit l’esprit qui t’a dicté tes pensées ! maudite soit la main qui les a écrites ! Malheureux le libraire qui les a imprimées ! malheureux ceux qui les ont lues ! malheureux ceux qui t’ont jamais conçu ! Et bénit soit M. le président, et bénit soit M. le procureur-général, qui vont purger Paris de cette peste ! C’est toy qui es cause que la peste est dans Paris je diray : après le révérend père Garassus, que tu es un bélistre, que tu es un veau ; que dis-je, un veau ? d’un veau, la chair en est bonne bouillie, la chair en est bonne rostie : mais la tienne, méchant, n’est bonne qu’à estre grillée ; aussi le seras-tu demain. Tu t’es mocqué des moynes, et les moynes se mocqueront de toy. » — « Ô beau torrent d’éloquence ! ô belle saillie de Jean Guérin ! » s’écrie Théophile. Sans doute ; mais pour être ridicule, elle n’en était pas moins redoutable ; et le pauvre Théophile, voyant les éditeurs et les imprimeurs du Parnasse arrêtés, le peuple ameuté, le cardinal de La Rochefoucault et le confesseur du roi ligués contre lui, les seigneurs effrayés, Louis XIII irrité, ses amis froids, la maréchaussée en campagne, quitta Paris, ne sachant où il allait.

Ici commence une effroyable vie qui nous pénétrerait de pitié, si Théophile s’était donné la peine de l’écrire. Partout il trouvait armés le catholicisme et la bourgeoisie, ses ennemis acharnés. Pour échapper à ce réseau qui couvrait la France, l’esprit-fort se cacha dans les bois, se fit des retraites sauvages, déguisa son nom, souffrit la faim et la soif, et chercha au bout du Languedoc un toit qui voulût bien l’abriter. Hors la loi de la société chrétienne, banni, et plus que cela, frappé d’interdiction et d’anathème, tête maudite, il éprouva la haine de tous, l’ingratitude de ses amis les plus chers, et l’horrible mélange des douleurs physiques et des douleurs morales. Balzac, plus haïssable que Garasse, raconte avec une certaine joie que Théophile « ne vit plus en seureté parmi les hommes, mais qu’il est pour-