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LES VICTIMES DE BOILEAU.

vous vanger du baston ; il ne tint pas à moi que vostre affront ne fuct effacé ; c’est peut-estre alors que vous ne me crûtes pas assez bon poète, parce que vous me vîtes trop bon soldat. Je n’allègue cecy pour aucune gloire militaire, ny pour aucun reprosche de vostre poltronnerie : mais pour vous montrer que vous deviez vous taire de mes défauts, puisque j’avois toujours caché les vostres. — Je vous advoue que je ne suis ny poète, ny orateur. Je ne vous dispute point l’éloquence de vostre pays : vous estes né plus proche de Paris que moy. Je suis Gascon, et vous d’Angoulême. Je n’ay eu pour régent que des escoliers escossais, et vous des docteurs jésuites ; je suis sans art, je parle simplement et ne sçay que bien vivre. Ce qui m’acquiert des amis et des envieux, ce n’est que la facilité de mes mœurs, une fidélité incorruptible et une profession ouverte que je fais d’aymer parfaitement ceux qui sont sans fraude et sans lascheté. C’est par où nous avons esté incompatibles vous et moy, et d’où naissent les accusations orgueilleuses dont vous avez inconsidérément persécuté mon innocence sur les fausses conjectures de ma ruine, et sur la foy du père Voisin. Soyez plus discret en vostre inimitié. Vous ne deviez point faire gloire de ma disgrace ; c’est peut-estre une marque de mon mérite. Vous n’avez esté ny prisonnier, ny banny ; vous n’avez pas assez de vertu pour estre recherché ; vostre bassesse est vostre seureté. Je ne tire point vanité de mon malheur et n’accuse point la cour d’injustice ; je me console seulement de voir que ma personne est encore bien chère à ceux qui m’ont condamné. J’ai esté malheureux, et vous estes coupable. Mais quoi ! la fortune s’irrite continuellement de quelques graces qu’il a plu à Dieu me despartir ! Si, suis-je satisfaict de ma condition, et je trouveray toujours parmi les bons assez d’honneur et d’amitié pour ne me picquer jamais de mespris et de la haine de vos semblables. Si je voulais verser quelques gouttes d’encre sur vos actions, je noircirois toute ma vie. »

En vain Balzac répondit-il que « la bouche de Théophile était moins sobre que celle d’un Suisse… qu’il était sorti de Paris par une brèche, et que la vérité ne pouvait se placer sur des lèvres impures. » La lettre de Théophile reste, et condamne le lâche et disert personnage, qui choisit un tel moment pour se venger d’un malheureux.

Les Apologies de Théophile, qui ramenèrent le parlement et le roi au courage de la justice, en face d’une population exaspérée, sont plus remarquables encore que cette lettre, et plus voisines de la force oblique, acérée, pénétrante de Pascal. La plus dédaigneuse