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LES VICTIMES DE BOILEAU.

a mille choses comparables à la magnificence des anciens Grecs et Latins, mais il a mieux réussi à leur ressembler, qu’alors qu’il les a voulu traduire, et qu’il a pris plaisir à les contrefaire, comme en ces mots :

Cythérean, Pataréan
Par qui le Trepied Tymbrean.

« Il semble qu’il se veuille rendre inconnu pour paraître docte, et qu’il affecte une fausse réputation de nouveau et hardy escrivain. Dans ces termes estrangers, il n’est point intelligible pour les François. Ces extravagances ne font que desgouter les sçavans, et estourdir les foibles. On appelle cette façon d’usurper des termes obscurs et impropres, les uns barbarie et rudesse d’esprit, les autres pédanterie et suffisance. Pour moy, je crois que c’est un respect et une passion que Ronsard avoit pour ces anciens, à trouver excellent tout ce qui venoit d’eux, et chercher de la gloire à les imiter partout. Un prélat homme de bien est imitable à tout le monde ; il faut estre chaste, comme luy charitable, et sçavant qui peut ; mais un courtisan, pour imiter sa vertu, n’a que faire de prendre ny le vivre, ny les habillemens à sa sorte ; il faut, comme Homère, faire bien une description, mais non point dans ses termes ny avec ses épithètes. Il faut escrire comme il a escrit. C’est une dévotion louable et digne d’une belle ame, que d’invoquer au commencement d’une œuvre des puissances souveraines ; mais les chrestiens n’ont que faire d’Appollon ny des Muses ; et nos vers d’aujourd’huy, qui ne se chantent point sur la lyre, ne se doivent point nommer lyriques, non plus que les autres héroyques, puisque nous ne sommes plus au temps des héros ; toutes ces singeries ne font ny le plaisir, ny le profit d’un bon entendement. Il est vray que le desgout de ces superfluitez nous a fait naistre un autre vice ; car les esprits foibles que l’amorce du pillage avoit jetez dans le mestier des poëtes, n’estant pas d’eux-mesmes assez vigoureux ou assez adroits pour se servir des objets qui se présentent à l’imagination, ont cru qu’il n’y avoit plus rien dans la poésie, et se sont persuadez que les figures n’en estoient point, et qu’une métaphore estoit une extravagance. » Il admet donc la richesse et la fécondité du style ; il veut la simplicité, la fermeté ; il blâme l’imitation servile et l’afféterie ridicule ; il s’élève contre la sécheresse et la fausse élégance. « L’élégance ordinaire de nos escrivains (dit-il) est à peu près selon ces termes : — L’aurore tout d’or et d’azur, brodée de perles et de rubis, parroissoit aux portes de l’Orient ; les estoilles esblouyes d’une plus riche clarté, laissoient effacer leur blancheur, et