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LES VICTIMES DE BOILEAU.

Ô nuict (s’écrie ensuite Thisbé), je me remets enfin sous ton ombrage,
Pour avoir tant d’amour, j’ay bien peu de courage !

Une de ses odes, à une maîtresse endormie, serait parfaite, si une teinte plus délicate eût adouci, sans la voiler, la passion qui l’a dictée[1]. Plus à l’aise dans l’épître et la satire que dans l’ode, il rédige souvent en hexamètres fort vigoureux ses observations sur la cour, les poètes et la vie humaine. À la cour, dit-il,

La coutume et le nombre autorise les sots ;
Il faut aimer la cour, rire des mauvais mots,
Acoster un brutal, lui plaire, en faire estime ;
Lorsque cela m’advient, je pense faire un crime :
Je suis tout transporté, le cœur me bat au sein,
Et pour m’être souillé de cet abord funeste,
Je crois long-temps après que mon ame a la peste :
Cependant il faut vivre en ce commun malheur,
Laisser à part esprit, et franchise et valeur,
Rompre son naturel, emprisonner son ame,
Et perdre tout plaisir .......

Les vers qu’il consacre à la théorie de l’art poétique n’ont pas moins de franchise et de fermeté :

Imite qui voudra les merveilles d’autrui.

  1. .............
    À genoux auprès de ta couche,
    Pressé de mille ardens désirs,
    Je laisse, sans ouvrir ma bouche,
    Avec toi dormir mes plaisirs.

    Le sommeil charmé de t’avoir,
    Empêche tes yeux de me voir,
    Et te retient dans son empire
    Avec si peu de liberté,
    Que ton esprit tout arrêté
    Ne murmure, ni ne respire.

    La rose, en donnant son odeur,
    Le soleil lancant son ardeur,
    Diane et le char qui la traîne ;
    Une Nayade dedans l’eau,
    Et les Grâces dans un tableau,
    Font plus de bruit que ton haleine.

    Là, je soupire auprès de toi,
    Et considère comme quoi
    Ton œil si doucement repose, etc.