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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/441

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REVUE. — CHRONIQUE.

d’ailleurs, des bons livres de ce temps-ci ; car l’auteur a su joindre à une puissante patience d’investigations cette sage défiance des théories aventureuses, ce simple bon sens, qui rencontre presque toujours le vrai, en un mot ces qualités, toutes françaises, qu’il importe d’autant plus de signaler dans l’école allemande, qu’on pourrait citer en France des écrivains en renom, du reste, qui ne s’en préoccupent guère.


Histoire du droit romain au moyen-âge, par M. de Savigny[1]. — Le nom et les travaux de M. de Savigny étaient connus et appréciés en France bien avant que la traduction eût popularisé son livre. Nous n’aurons donc point à exposer ici l’analyse de ses doctrines, ou l’ensemble de son système. M. Guizot dans son Histoire de la civilisation française, M. Lerminier dans sa Philosophie du droit, ont jugé l’Histoire du droit romain au moyen-âge avec l’attention sévère et consciencieuse que réclamaient l’importance du sujet, ainsi que la patiente et rigoureuse exécution du livre. M. de Savigny a réalisé, par trente ans de travaux et par l’application toujours soutenue d’une haute intelligence à une même étude, l’une des œuvres les plus complètes et les plus remarquables de l’école historique allemande. Il ne s’agit point ici de mythes ou de symboles. M. de Savigny ne dépense pas, comme Niebuhr, les trésors de la science en aventureuses négations, il ne bâtit pas un système sur des monumens tout au moins problématiques, sa critique forte et contenue ne passe jamais d’une formule aride et sèche au domaine infini des rêves poétiques. Il a consulté Walter, Canciani, Mabillon, Muratori, mais pour leur demander, avant tout, des textes et non de l’inspiration lyrique, comme cela s’est vu quelquefois à propos de Marculphe ou des capitulaires. Le droit, je le sais, a bien aussi sa poésie ; mais ce qu’il y faut chercher surtout, c’est la raison ; et si froide, si patiente que soit l’investigation, elle est encore sujette à bien des erreurs, témoin ce livre même de M. de Savigny dans lequel M. Guizot a trouvé à la fois tant de choses à louer et à contredire.

On avait cru long temps, on le sait, que le droit romain, entraîné dans la ruine de l’empire d’Occident, ne s’était relevé que par hasard, six cents ans après sa chute. La critique historique avait accepté cette opinion comme un fait incontesté et réel. Ce fut donc une pensée hardie que de la soumettre à un contrôle sévère, ce fut aussi un remarquable résultat que d’en démontrer en bien des points la fausseté, résultat d’autant plus notable que les découvertes, les aperçus neufs, ignorés et justes, sont plus rares en histoire qu’on ne le pense d’ordinaire. Il importe d’ailleurs, pour apprécier sainement le moyen-âge, d’y suivre, à travers leurs mille transformations, les traditions les plus lointaines de l’antiquité. Ce qu’on avait cru effacé sans retour, mœurs, croyances, philosophie, n’est souvent qu’altéré, déguisé, mais reconnaissable encore à l’œil attentif. La Rome chrétienne des papes continue la Rome des consuls. Les Larves, les Lémures, qui erraient autour des tombeaux antiques, se sont

  1. Trad. par M. Ch. Guenoux, 3 vol. in-8o, Paris, 1839. Hingray, rue de Seine, 10.