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chais. J’aurais voulu voir son visage, et ce désir me coûte la vie… Mais toi, quand tu nagerais dans les eaux comme un poisson, quand tu t’enfoncerais dans les ténèbres de la nuit, quand tu volerais dans l’espace comme un oiseau, quand tu te cacherais au ciel parmi les étoiles, tu n’échapperais pas à ta perte, car Rustem te demandera vengeance de ma mort, quand il apprendra que son fils est venu de Touran, conduit par son amour, et qu’il a été victime de la perfidie d’un vieillard. »

Cette reconnaissance, ainsi amenée, est profondément pathétique. Ce qui ne l’est pas moins, c’est la résignation de Zohrab, qui console son père, c’est la douleur de Rustem, et surtout celle de la mère de l’infortuné Zohrab en présence du cercueil de son fils. « Elle frappa son visage, elle tomba sur la terre, elle ne pouvait plus parler, elle avait perdu tout sentiment ; on eût dit que le cours de son sang s’était arrêté. Enfin, la malheureuse revint de son évanouissement, et ses lamentations recommencèrent… Elle prit l’ornement de tête de son fils, et elle pleura. Elle pressa sur son sein les sabots du cheval qui avait porté le héros au jour du combat. L’animal se tenait près d’elle tout étonné ; elle lui baisait tour à tour les yeux et la tête, elle baignait ses pieds d’un torrent de sang ; elle prit le royal vêtement de Zohrab et l’embrassa comme son enfant. La terre fut rougie du sang de ses yeux. Elle plaça devant elle la cuirasse, la cotte de mailles, l’arc, la lance, la massue et le glaive du jeune homme ; elle frappa sa tête de la lourde massue, et, dans l’amertume de ses souvenirs, elle déchira de nouveau son sein ; elle prit la selle, et la bride, et le bouclier, et les pressa contre ses joues ; elle prit le lacet de Zohrab et le déploya sur la terre. Elle pleura sur tout ce qu’il avait possédé, et se lamenta sans mesure. Elle tira le glaive de Zohrab, coupa la bride du cheval, et le laissa aller en liberté. Elle donna aux pauvres la moitié de ses trésors. Vêtue de noir, elle gémit jour et nuit sans relâche, jusqu’à ce que la pauvre désolée expirât dans sa douleur, et fût rejoindre son bien-aimé Zohrab. »

Après la touchante histoire de Zohrab vient celle de Siavesch. C’est la vieille aventure de Phèdre et de l’impératrice du roman des Sept sages. La reine veut séduire le fils de son époux, et, comme la femme de Putiphar, accuse celui qui l’a repoussée. Siavesch sort victorieux de l’épreuve du feu, dont l’origine orientale et non chrétienne est attestée par ce passage et par celui du Ramayana, dans lequel la belle Sita prouve son innocence par le même moyen.

Bientôt le jeune prince est victime de la générosité des sentimens