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le frappe du fouet : la terre cède sous les pieds de Raksch ; cheval et cavalier tombent ensemble, et sont percés tous deux.

Le héros jette un profond soupir : « On t’a appelé le fort, s’écrie-t-il, et maintenant tu es tombé là d’où tu ne peux revenir, et pour toi il n’est plus d’espoir de vengeance. » Cependant il rassemble toute sa vigueur, fait un immense effort, parvient à s’arracher aux pieux qui le transpercent et s’élance hors de la fosse. Là il trouve le traître Schégad, et, plein de ruse à son dernier moment, il lui dit : « Apporte-moi mon arc et place deux flèches devant moi ; il ne convient pas que je demeure ainsi désarmé : si un lion passait ici cherchant sa proie, je ne pourrais me défendre contre lui. » Schégad fut chercher l’arc, le banda, le plaça près du mourant, et il se réjouissait de la mort de son frère, quand le héros, faible et épuisé de sang, tendit l’arc et y plaça une flèche. Schégad craignit le trait et la vengeance de son frère, et il s’élança derrière un arbre ; mais l’âge avait enlevé la moëlle du tronc, et la flèche perça d’un coup l’arbre et Schégad. »

Ainsi, Rustem tué comme Sigefrid, par trahison dans une chasse, comme lui, avant de mourir, a encore la force de se venger de son meurtrier. La ressemblance entre les destinées des deux héros se soutient jusqu’au bout.

À partir de la mort de Rustem, je suis privé du secours qui me soutenait jusqu’ici. M. Gœrres interrompt en cet endroit la version incomplète, mais pleine de vie et de couleur, qu’il a donnée du Livre des Rois. Pour le reste du poème, il se borne à une analyse aride qu’il serait impossible à analyser elle-même, à moins de tomber dans une extrême sécheresse. Je me contenterai d’indiquer, sans presque les tracer, les linéamens de la tradition. C’est ainsi qu’en géométrie on indique par des points certains contours qui ne font pas partie de la figure, mais qui complètent la démonstration.

À mesure qu’on avance dans la série des siècles, la tradition épique se rapproche davantage de l’histoire. Artaxerce Longuemain porte chez Firdousi le même nom, suivi de la même épithète (Ardeschir Dirasdust) ; Darab est Darius, seulement on a confondu deux princes de ce nom, le cruel Darius Ochus et le prince débonnaire qui fut vaincu par Alexandre. Mais ces confusions sont dans la nature et dans le génie de la tradition populaire. Ainsi, au moyen-âge, dans le Charles des romans carlovingiens, on a confondu la lutte de Charles-Martel contre les Sarrasins, la grandeur de Charlemagne et l’impuissance impériale de Charles-le-Chauve et de Charles-le-Gros.

Pour Alexandre, il a pris place parmi les rois de Perse ; il figure à