Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/497

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
493
GOETHE.
le souci.

Vous, sœurs, vous ne pouvez entrer dans ce royaume,
Vous ne l’oseriez pas ; mais le pâle Souci
Se glisse par le trou de la serrure.

le malheur.

Se glisse par le trou de la serrure.Alerte !
Ô mes livides sœurs ! éloignons-nous d’ici.

la conscience.

Je vais à tes côtés dans la plaine déserte.

le malheur.

Et moi, moi le Malheur, je marche sur tes pas.

à trois.

Les nuages au ciel roulent, et sous leurs voiles
Disparaissent déjà les tremblantes étoiles ;
En avant donc ! De loin, de loin, là-bas, là-bas,
Voilà déjà qu’il vient le frère, le Trépas.

faust, dans le palais.

Je n’en vois fuir que trois, et quatre sont venues.
Leurs voix à mon esprit demeurent inconnues ;
Cela disait, je crois, nécessité, remord,
Puis venait une rime odieuse, — la mort.
Ce discours sonnait creux et prophétique et sombre ;
Pour reprendre mes sens, depuis je lutte en vain.
Te trouverai-je donc toujours sur mon chemin,
Ô toi, magie ! ô toi qui me suis comme une ombre !
Quand pourrai-je oublier tes formules sans nombre,
Tes évocations en qui jadis j’eus foi ?
Nature, que ne suis-je un homme devant toi !
Ah ! ce serait alors la peine d’être au monde.
Un homme ! je l’étais jadis, quand je suis né,
Avant d’avoir fouillé l’immensité profonde
Avec ce mot fatal par qui je suis damné[1] !
L’air est plein de terreurs, de formes insensées,
Tellement qu’on ne sait, hélas ! comment les fuir.
Si le jour un instant sourit à nos pensées,
La sombre nuit bientôt se hâte de venir,
Pour envelopper tout dans les tissus du rêve.
Un beau soir de printemps, quand la lune se lève,
Vous revenez joyeux de la prairie en fleur ;

  1. Retour vers la première partie. Faust, après tant d’expériences, en vient à regretter dans sa vieillesse l’innocence de ses jeunes années. Dès-lors le diable a perdu son pari, ainsi que le prologue dans le ciel le laissait pressentir.