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GOETHE.

réprouvée le blasphème qui voudrait sortir, et sa bouche, crispée pour l’injure, éclate en hymnes diaboliques à la gloire de la béatitude dont le spectacle l’oppresse et l’écrase. Quel supplice pour l’esprit du mal de se trouver ainsi tout à coup en face du soleil de la grace, de se sentir ballotté par le flux et reflux des émanations pures : le supplice du hibou surpris par l’explosion d’une radieuse matinée d’avril ! Comme l’oiseau de nuit, Méphistophélès ferme les yeux et recule ; mais, ô misère ! tandis qu’il cherche à tâtons son gîte ténébreux pour s’y engloutir à jamais, une influence irrésistible le force à évoquer la lumière flamboyante qui l’offusque. Il appelle les anges, et les anges viennent à sa voix, calmes, confians, pleins d’un céleste amour et d’une béatitude ineffable, dont s’accroît encore sa torture. Fascination inexorable que le bien exerce dans le monde ! À mesure qu’il recule, les anges s’avancent, et lui, tout en les appelant, recule toujours, dévoré par une sensualité diabolique qui se manifeste dans ses discours et couvre sa peau comme une lèpre.

méphistophélès.

Ma tête est toute en feu, mon sang bout ; élément
Surdiabolique ! feu plus vif que le feu même
De l’enfer ! Je comprends qu’on souffre quand on aime.
Ô pauvres amoureux, je comprends le tourment
Qui vous dévore, ô vous dont le triste cœur saigne
Pour un sourire, un mot de l’objet adoré ;
Vous qui, le col tordu, sombres, l’air égaré,
Épiez son pardon alors qu’il vous dédaigne !

Et moi, qui donc m’attire ainsi de ce côté ?
Amour, ne suis-je pas ton ennemi juré ?
Ton regard n’est-il pas mon plus âcre supplice ?
Quels charmes inconnus m’ont soudain pénétré ?
Ces blonds adolescens, d’où vient qu’avec délice
Je contemple leur pose, et leur forme, et leurs traits ?
Pourquoi ne puis-je plus blasphémer désormais ?
Mais si l’on m’ensorcelle aujourd’hui de la sorte,
Qui donc à l’avenir sera le fou ? N’importe,
Ils sont par trop charmans, ces drôles que je hais.
(Aux anges.)
Ô mes beaux jeunes gens, oh ! répondez, par grace :
N’êtes-vous pas aussi, dites-moi, de la race
De Lucifer ? Venez plus près, toujours plus près ;
Je veux vous embrasser, vous si blonds et si frais.
Au plaisir que je sens à vous voir, il me semble