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GOETHE.

Sans mystique, il n’y a pas de religion possible. Le naturalisme lui-même, tout en ne reconnaissant que les choses créées, se voit forcé d’admettre des forces élémentaires actives. Une force prise en dehors de l’acte qui en résulte est quelque chose qui ne se peut saisir, et cependant il faut qu’on se la représente. De là, d’une part, la mythologie païenne, de l’autre la philosophie de Spinoza, qui donnent plus ou moins aux causes et aux forces premières la réalité de l’existence, et les classent en un système. Cependant ici encore les mêmes difficultés se rencontrent ; car, quelles que soient les formules et les apparitions, il y a au fond de tout cela un mystère insaisissable, et l’ame, au milieu du culte de la nature, éprouve, comme au sein de l’orthodoxie chrétienne, cet infini besoin d’amour, d’espérance et de foi[1] qui ne l’abandonne jamais.

De semblables aspirations existent d’elles-mêmes, et la piété en résulte[2]. Aussi combien de fois n’a-t-on pas vu la conscience humaine, en proie aux sombres inquiétudes que font naître en elle les idées d’avenir et d’éternité, ne trouver de refuge contre l’épouvante et le doute que dans la foi qu’elle avait repoussée sous sa forme première ! C’est un peu l’histoire du plus grand nombre, de Goethe lui-même. Voyez ce qu’il écrivait à Zelter sur ce sujet[3], en 1827 : « Continuons d’agir jusqu’à ce que, rappelés par l’esprit du monde, un peu plus tôt, un peu plus tard, nous retournions dans l’éther ; puisse alors l’Être éternel ne pas nous refuser des facultés nouvelles, ana-

    fonde, innée, qui m’a toujours fait voir inviolablement Dieu dans la nature et la nature en Dieu, de telle sorte que cette conviction a servi de base à mon existence entière, un paradoxe si étroit et si borné ne devait-il pas m’éloigner à jamais, quant à l’esprit, d’un homme généreux dont je chérissais le cœur vénérable ? Cependant je n’eus garde de me laisser abattre tout-à-fait par le triste découragement que j’en ressentis, et me réfugiai avec d’autant plus d’ardeur dans mon antique asile, l’Éthique de Spinoza. » (Bekenntnisse, 1. Theil, von 1811. Goethe’s Werke, Bd. 32, S. 72).

  1. « Nul être ne peut tomber à néant. L’éternel s’émeut en tout. Tu es ; tiens-toi heureux de cette idée. L’être est éternel, car des lois conservent les trésors de vie dont se pare l’univers. » (Goethe, Vermâchtniss Werke, Bd. 22, S. 261.)

    Goethe exprime encore le sentiment auguste de la Divinité que lui inspire le culte de la nature, dans cette poésie où le lion s’apprivoise, tout à coup dompté par le cantique d’un enfant : « Car l’Éternel règne sur la terre ; son regard règne sur les flots. Les lions doivent se changer en brebis, et la vague recule épouvantée ; l’épée nue prête à frapper s’arrête immobile dans l’air ; la foi et l’espérance sont accomplies ; il fait des miracles, l’amour qui se révèle dans la prière. » (Bd. 15, S. 327.)

  2. Goethe bei der Fürstinn Gallizin Werke, Bd. 30, S. 247.
  3. Briefwechsel, Th. IV, S. 278.