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logues[1] à celles dont nous avons eu déjà l’usage ! S’il y joint paternellement le souvenir et le sentiment ultérieur (Nachgefühl) du bien que nous avons pu vouloir et accomplir ici-bas, nul doute que nous ne nous engrenions d’autant mieux dans le rouage de la machine universelle. Il faut que la monade supérieure (die entelechische Monade) se maintienne en une activité continuelle ; et si cette activité lui devient une autre nature, l’occupation ne lui manquera pas dans l’éternité. » Belles paroles qui ne sont peut-être pas si éloignées du christianisme que Goethe voudrait le faire croire et qu’on y rattacherait facilement, ainsi que la pensée qui suit : « Je veux te le dire à l’oreille ; j’éprouve le bonheur de sentir qu’il me vient dans ma haute vieillesse des idées qui, pour être poursuivies et mises en œuvre, demanderaient une réitération de l’existence… »

« Chaque soleil, chaque planète porte en soi une intention plus haute, une plus haute destinée en vertu de laquelle ses développemens doivent s’accomplir avec autant d’ordre et de succession que les développemens d’un rosier par la feuille, la tige, la corolle. Appelez cette intention une idée, une monade, peu importe ; il suffit qu’elle préexiste invisible au développement qui en sort dans la nature. Les larves des états intermédiaires, que cette idée prend dans ses transformations, ne sauraient nous arrêter un moment. C’est toujours la même métamorphose, la même faculté de transformation de la nature, qui tire de la feuille une fleur, une rose, de l’œuf une chenille, de la chenille un papillon. Les monades inférieures obéissent à une monade supérieure, et cela non pour leur bon plaisir, mais uniquement parce qu’il le faut. Du reste, tout se passe fort naturellement en ce travail. Par exemple, voyez cette main ; elle contient des parties incessamment au service de la monade supérieure, qui a su se les approprier indissolublement sitôt leur existence. Grace à elles, je puis jouer tel morceau de musique ou tel autre ; je puis promener à ma fantaisie mes doigts sur les touches du clavier ; elles me procurent donc une jouissance intellectuelle et noble ; mais, pour ce qui les regarde, elles sont sourdes, la monade supérieure seule entend. De là, je conclus que ma main ou mes doigts s’amusent peu ou point. Le jeu de monade auquel je prends plaisir, ne divertit nullement mes sujettes, et peut-être en outre les fatigue. Combien elles seraient plus heureuses d’aller où leur apti-

  1. « Je souhaite à mon moi, pour l’éternité, les joies que j’ai goûtées ici-bas. »(Goethe’s Divan, S. 269.)