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surtout dans celles des îles où la civilisation n’a pas créé de nouveaux besoins. Chaque fois que nous vînmes à terre, une foule d’hommes et de femmes nous suivit dans nos excursions, pendant des journées entières ; les femmes, — et nous fûmes témoins de ce fait, — passent au moins trois ou quatre heures par jour à jouer au milieu des vagues qui viennent se briser sur le rivage. C’est à peu près le seul divertissement auquel je les aie vues se livrer. Autrefois elles se réunissaient, et le chant et la danse faisaient agréablement passer les heures de loisir ; mais aujourd’hui que ces plaisirs sont défendus, je ne sais trop ce que fait le peuple quand il n’a rien à faire. Je conçois que dans un pays civilisé on puisse, à la rigueur, se passer de danse et de chant ; les visites, la conversation, les spectacles, et mille sujets de distraction, font écouler le temps rapidement ; mais que veut-on que fassent ces pauvres sauvages, car sauvages ils sont encore, si on leur enlève ces plaisirs auxquels ils étaient habitués, avant de les avoir mis en état de s’en créer d’autres plus rationnels et peut-être moins innocens ? Au reste, la facilité avec laquelle les missionnaires ont assujetti cette population à supporter sans murmure leur influence, quelquefois un peu tyrannique, prouve combien elle est aisée à gouverner, et combien il faudrait peu d’efforts pour l’amener au but qu’ils se sont sans doute proposé.

Tous les navigateurs qui ont visité les îles Sandwich ont parlé plus ou moins longuement de la religion qu’ils y ont trouvée ; il serait inutile de répéter ce qu’ils en ont dit. Mon but, d’ailleurs, n’étant que de faire connaître ce peuple tel qu’il est aujourd’hui, avec les changemens que le contact des nations civilisées a opérés en lui, je me contenterai de rappeler les principaux traits de son ancienne religion. Les insulaires s’étaient fait des dieux de tout ce qui leur inspirait de la crainte ; c’étaient de monstrueuses divinités auxquelles ils immolaient des victimes humaines dans certaines occasions, soit pour se les rendre propices au commencement d’une campagne, soit lorsque les chefs étaient malades, pour conjurer le dieu de la mort ; souvent aussi, de nombreuses victimes accompagnaient les chefs au tombeau, et on les choisissait parmi leurs serviteurs les plus intimes.

À Owhyhee, Pèle, la déesse des volcans, en menaçant à chaque instant la propriété et la vie des naturels, leur arrachait de nombreux sacrifices. Lorsque la terre venait à trembler, quand de larges tourbillons de fumée s’élevaient au-dessus des nuages, quand, la nuit, des colonnes de flamme, sortant des flancs des montagnes, teignaient le ciel d’un rouge de sang, on envoyait des victimes à Pèle pour conjurer son courroux ; mais, hélas ! la déesse était inexorable : elle accomplissait, au moyen de ses ravages, l’œuvre de création que lui imposait un dieu plus puissant qu’elle ; elle ajoutait une nouvelle couche de lave à celles dont cette terre est formée.

Le dieu d’Oahou passait aussi pour un dieu très puissant, il était surtout très vorace ; les plus riches offrandes de taro et de patates douces le satisfaisaient à peine, et toujours, par l’organe de ses prêtres, son appétit prélevait de nombreux tributs sur les récoltes des fidèles. Aussi ce dieu était-il d’une