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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/552

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REVUE DES DEUX MONDES.

gime des classes pauvres. Une méthode rigoureuse, à laquelle on reconnaît un esprit habitué d’ancienne date aux investigations philosophiques, l’abondance des faits recueillis, la possession parfaite de son sujet, que l’auteur a doublement conquise par l’étude des théories antérieures et par les expériences qui résument sa longue carrière administrative, ne tarderont pas à placer le beau travail de M. de Gérando au premier rang des traités sans nombre consacrés au plus épineux problème de la science sociale. Ce n’est pas qu’il ait eu à produire un nouveau système, et nous l’en félicitons : peu de solutions lui appartiennent à titre de découvertes, mais les résultats qu’il s’approprie par une lumineuse discussion, sont enchaînés de telle sorte qu’ils se présentent avec l’importance et l’autorité d’un corps de doctrine. On pourrait même ajouter que le ton calme et pénétré de l’écrivain, la sincérité de son dévouement à l’infortune, ravissent l’adhésion du lecteur, et qu’on éprouve quelque embarras à n’être pas toujours de son avis. Telle a été du moins notre impression, quand parfois nous avons été conduit à produire dans le détail des opinions en désaccord avec les siennes. Un autre traité de M. Félix de La Farelle, de Nîmes, intitulé : Du Progrès social au profit des Classes populaires non indigentes[1], se rattache au cœur même de notre sujet, et nous l’avons lu avec fruit. Concentrer ses études sur les classes intermédiaires qui confinent d’une part à l’indigence et de l’autre à la bourgeoisie, sur le prolétariat qui forme la base aujourd’hui ébranlée et mal assise des sociétés, c’est faire preuve de sagacité prévoyante. Les souffrances de ces classes, non moins grandes en réalité qu’à aucune autre époque, mais fort irritantes encore, surtout dans les jours de crise, sont la seule arme de ceux qui rêvent des bouleversemens ; mais cette arme est terrible et d’immense portée. M. de La Farelle croit, avec tous les esprits mûris par l’étude et par l’expérience, que les règles sociales en vigueur aujourd’hui permettent les améliorations désirables, ou, pour mieux dire, qu’elles sont une des plus sûres garanties de progrès. Les considérations qu’il présente à ce sujet viennent souvent à l’appui des idées émises par M. de Gérando dans l’importante section de son livre consacrée à la charité préventive, c’est-à-dire aux moyens d’améliorer le sort des classes laborieuses, parmi lesquelles se recrute l’indigence proprement dite.

I. — aperçus historiques.

Cette sympathie qui nous fait souffrir de toutes les souffrances humaines, et qui nous commande impérieusement de les alléger, ce sentiment que les modernes ont nommé humanité, n’existait pas, ne pouvait pas exister dans les temps anciens. Le régime des castes subdivisait le genre humain en espèces inégales aux yeux du moraliste comme à ceux du législateur. Comment donc accorder à tous les malheureux, et sans distinction d’origine, la même dose de bienveillance ? C’eût été protester d’un seul coup contre la religion et contre la loi. Quelques sages, dira-t-on, ont recommandé la philanthropie ; on a fondé

  1. vol. in-8o, chez Maison, quai des Augustins, 29.