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DES CLASSES SOUFFRANTES.

nombre. La charité doit craindre de s’égarer dans les nuages de la théorie ; sa place est sur terre, et sa tâche est particulièrement de contrebalancer l’effet des fatalités sociales. Encourageons le génie industriel, et rendons hommage à son action bienfaisante mais ne nous étourdissons pas ainsi sur quelques-unes de ses conséquences, qui sont déplorables. Ne nous lassons pas de demander si les services qu’on en reçoit ne pourraient pas coûter moins cher, surtout à la classe malheureuse, qui en profite le moins.

M. de Gérando conserve la même sécurité, relativement au développement excessif des populations. Il s’en tient aux théories de Smith et de Say, pour qui tout individu est à la fois producteur et consommateur ; de sorte que la somme des besoins qui sollicitent, finirait toujours par se balancer avec celle des moyens de satisfaction. Les axiomes de ce genre sont plus ingénieux que solides. Ils ont déjà fléchi dans la discussion, et succomberont tôt ou tard sous la réfutation brutale de l’expérience. Assurément, l’équilibre s’établit, pour quelques instans du moins, mais c’est à force de secousses violentes, qui laissent froissés un grand nombre d’individus. Ce sont de pareilles secousses qui déterminent la misère, et que tout gouvernement doit s’efforcer de prévenir. S’il était exact de dire que les accroissemens de la population, en augmentant le nombre des travailleurs, multiplient dans une proportion croissante la somme commune du bien-être, le remède à tous les maux serait trouvé, et d’une application facile. Il n’y aurait qu’à favoriser cette fécondité dont tant d’économistes s’effraient, et à surexciter la fièvre industrielle. Pour qu’il en fût ainsi, il faudrait que l’industrie elle-même eût un puissant régulateur. Tout au contraire, le monde où règne aujourd’hui la spéculation, est le plus exposé de tous aux crises et aux déchiremens qui en sont la suite.

M. de Gérando, après avoir cédé trop facilement à l’autorité d’un système célèbre, ne tarde pas à s’en affranchir, et touche la difficulté réelle lorsqu’il dit : « Chaque profession ne comporte qu’une proportion déterminée dans le nombre de ceux qui l’exercent. Lorsque les cadres de l’une d’elles sont remplis, ceux qui se présentent pour y entrer, occasionnent un embarras d’autant plus grand qu’ils affluent davantage. Ce n’est pas l’excès de la population qui cause ces inconvéniens souvent funestes au repos de la société, ce sont les erreurs commises dans la façon dont elle se distribue, ce sont les méprises de ceux qui s’obstinent à se précipiter dans une carrière déjà obstruée. » Rien n’est plus exact. Il nous reste à ajouter seulement que, quand la population s’accroît démesurément, la répartition devient, en raison même de son abondance, un problème presque insoluble. Il a bien fallu que l’embarras parût grand à beaucoup d’économistes, pour qu’ils en vinssent à se demander s’il ne serait pas possible de contrarier les entraînemens naturels et de restreindre la fécondité. M. de La Farelle, dans un chapitre qui résume parfaitement la discussion, propose de reculer l’âge où l’union conjugale serait permise aux adultes de l’un et de l’autre sexe ; il appelle aussi de tous ses vœux une organisation de la classe ouvrière capable de remplacer, dans leur action prévoyante, les jurandes et maîtrises qui forçaient autrefois l’apprenti et le