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DES CLASSES SOUFFRANTES.

de la pauvreté. Pleins de cette conviction, les délégués du parlement anglais, après avoir indiqué les mesures législatives qu’ils jugent les plus propres à régénérer les classes que dégrade le besoin, ont déclaré solennellement qu’on doit moins compter sur les inspirations de la science administrative, que sur l’influence de l’éducation morale et religieuse.

Nous avons cherché et seulement montré du doigt les sources de la misère : opération si triste qu’on nous pardonnera de ne les avoir pas fouillées profondément. Ces sources ne s’arrêtent jamais, et la tâche de les épuiser serait au-dessus des forces humaines ; mais elles ne sont pas toujours également abondantes. Il y a des époques calmes et fécondes où elles suivent faiblement leur pente fatale, avec une plainte qui émeut, mais qui n’est point une menace. Il n’est pas impossible alors de les cacher aux regards des peuples, peut-être même de les diriger utilement. Ainsi arrive-t-il dans ces jours sans nuages, où le travail est facile, où chacun entrevoit dans la moisson commune sa gerbe qui mûrit et se pare des reflets dorés de l’opulence. Mais viennent les orages, et tous les aspects s’assombrissent : ces sources de la misère publique, courans imperceptibles tout à l’heure, se ravivent tout à coup, se gonflent de fange et d’écume, unissent leur furie : vaste inondation qui dégrade pour long-temps le sol national, et ne laisse après elle que des ruines.

Ce n’est pas seulement la prudence qui commande aux sociétés d’épier le fléau, et d’en prévenir autant que possible la redoutable explosion. La justice, la loyauté, la pudeur publique exigent avec non moins d’autorité qu’on s’occupe des classes souffrantes. En effet, si la distribution des richesses conquises par le travail ne doit s’opérer que d’une façon inégale ; si l’industrie, en accélérant son mouvement producteur pour multiplier les jouissances communes, use et rejette les machines humaines qu’elle a mises en jeu ; si la tâche de l’avenir qu’une nation ne doit jamais interrompre, ne se peut faire qu’en sacrifiant quelque chose du présent ; pour tout dire, enfin, si la civilisation fait inévitablement des victimes, n’est-il pas de toute justice qu’elle s’applique à les dédommager ? La réponse ne serait pas douteuse, si l’on cédait au premier entraînement ; mais la science qui se nourrit de doute et d’objections, est de son naturel défiante et rétive : elle a observé, supputé, analysé, disserté, si bien qu’aujourd’hui les docteurs, à peine d’accord sur le principe, sont en plein dissentiment quant aux moyens d’exécution.

IV. — principes de la bienfaisance publique.

Le christianisme a fait entrer si profondément dans nos instincts le sentiment de la commisération, et la croyance d’une pieuse solidarité entre les hommes, que le soulagement de l’indigence a été considéré par les nations modernes comme l’acquit d’une dette sacrée. Les premiers maîtres de la science politique, Grotius, Bossuet, Montesquieu, n’ont pas même élevé un doute à ce sujet. L’auteur de l’Esprit des Lois pose en axiome que « l’état doit à tous les citoyens une subsistance assurée, la nourriture, un vêtement