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convenable et un genre de vie qui ne soit pas contraire à la santé. » Ce principe, accepté par nos premières assemblées législatives, comme tout ce qui avait un relief généreux, est soutenu aujourd’hui encore par les théoriciens qui prétendent fonder une école chrétienne sur le terrain de l’économie politique. Son principal organe est chez nous M. de Villeneuve-Bargemont. Les conséquences pratiques de ce principe varient suivant les institutions avec lesquelles il se combine. Dans les pays purement catholiques, la tutelle des pauvres est restée une des attributions du pouvoir religieux. Une multitude d’établissemens charitables, qu’aucun lien ne rattache les uns aux autres, dispersent au hasard et sans préoccupation systématique le revenu des anciennes fondations et le produit des aumônes journalières. Dans les pays où les biens ecclésiastiques ont été confisqués, les indigens sont retombés lourdement à la charge du public. En France, la dette contractée envers eux n’est que facultative. En Angleterre elle est reconnue légalement[1]. Tout individu, par le seul fait de son indigence, devient, en quelque sorte, créancier de l’état, et est admis à faire valoir devant les tribunaux son droit à l’assistance.

Dans la dernière année du dix-huitième siècle, un politique chagrin, et si bien cuirassé de logique qu’il n’était pas possible de le toucher au cœur, vint se placer en face des moralistes qui prêchaient la compassion, et leur jeta pour défi une doctrine impitoyable. « Un homme qui naît dans un monde déjà occupé, osa dire Malthus, si sa famille n’a pas le moyen de le nourrir, et si la société n’a pas besoin de son travail, n’a pas le moindre droit à réclamer une part de nourriture : il est réellement de trop sur la terre ; la nature lui commande de s’en aller, et elle ne tarde pas à mettre cet ordre à exécution. » Cette cruelle sentence souleva une telle réprobation, qu’elle fut rayée par l’auteur dans les éditions suivantes de son livre ; mais l’esprit qui l’avait dictée subsista, et règne encore avec quelques adoucissemens dans une école aujourd’hui fameuse. Aux yeux de Malthus, la misère étant la conséquence plus ou moins éloignée du désordre des mœurs, ou tout au moins d’une coupable imprévoyance, devient moins un malheur qu’une faute dont les privations et l’avilissement sont la punition nécessaire. Faire contribuer le riche, c’est-à-dire l’homme qui a acquis par l’ordre et le travail, pour nourrir l’indigent, c’est-à-dire l’homme qui s’est laissé déchoir, c’est commettre une erreur dangereuse en politique, et répréhensible en morale. Les institutions secourables, surtout celles qui ont l’appui des gouvernemens et une existence légale, n’ont pas d’autre effet que de dispenser les natures indolentes ou viciées de l’énergie, de la prévoyance et des vertus qu’on doit exiger de tous les citoyens, et, en dernier résultat, elles font beaucoup plus de malheureux qu’elles n’en

  1. C’est là ce que les économistes appellent le système de la charité légale. M. de Gérando blâme cette dénomination, et la monstrueuse alliance de deux mots qui se repoussent. N’est-ce pas destituer la charité de son plus beau caractère, de sa spontanéité touchante, que d’accorder son nom à cet impôt que la loi demande au riche, et que la violence doit quelquefois arracher ?