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LOPE DE VÉGA.

service de divers grands seigneurs de la cour de Madrid. Le premier de ces personnages près duquel il remplit cet office fut Geronimo Manrique de Lara, évêque d’Avila, douzième inquisiteur-général et légat du pape Pie V sur la flotte qui gagna la bataille de Lépante. C’était, à ce qu’il paraît, un excellent homme, qui ne manquait ni de lumières, ni de goût, et qui, ayant peut-être quelque pressentiment du génie de Lope, lui fit reprendre ses études universitaires. Aussi Lope de Véga ne prononce-t-il ce nom de Manrique qu’avec la plus tendre vénération, et comme celui d’un père aux bienfaits duquel il doit l’indispensable complément de son éducation. « Je fus, dit-il dans la dédicace d’une de ses belles pièces, élevé au service de l’illustre seigneur dom Geronimo de Lara, évêque d’Avila ; et ce nom héroïque de Lara ne me revient jamais à la pensée, que je ne lui attribue irrésistiblement mes études et mes débuts dans les lettres. »

Les plus anciens des ouvrages qui nous restent de Lope, et les seuls de ses premiers essais auxquels on puisse attacher une date à peu près certaine, sont ceux qu’il composa chez don Geronimo Manrique, étant son secrétaire, et, sans doute, à sa recommandation ou dans la vue de lui plaire. Ce furent, au dire de Montalvan, plusieurs églogues et la comédie pastorale de Jacinta, dont, ajoute le même Montalvan, le prélat fut charmé. On ne saurait dire de quelles églogues il s’agit ; ce sont probablement des pièces aujourd’hui perdues, en supposant qu’elles aient jamais existé. Quant à la pastorale de Jacinta, c’est un des cinq à six cents drames qui nous restent de Lope, et l’un des plus mauvais, curieux néanmoins comme le plus ancien de tous, ayant dû être composé vers 1578, époque où l’auteur n’avait que seize ans.

On ne sait pas combien de temps Lope resta au service de l’évêque d’Avila ; selon toute apparence, il n’y resta guère au-delà de l’année 1578 : on se demande involontairement pourquoi il quitta si vite un patron dont il avait tant à se louer. Il suffit peut-être, pour répondre à cette question, d’observer que le moment où Lope dut renoncer au service du bon évêque, touche immédiatement aux jours les plus orageux de sa jeunesse, à ceux où son cœur, s’ouvrant aux premières impressions de l’amour, en éprouva toutes les amertumes et tous les ravissemens, tout l’orgueil et toutes les humiliations. On aura peut-être quelque peine à concevoir des passions si exaltées et si capricieuses dans un jeune homme de dix-sept ans ; mais ce jeune homme était Lope de Véga, un être en qui tout était précoce, l’amour comme l’imagination et le génie. Et puis la licencieuse galanterie qui