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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/612

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REVUE DES DEUX MONDES.

« Je fus longuement le jouet de vaines faveurs et d’espérances vaines ; mais déjà, à l’abri de la crainte et de l’envie, je vais chercher le lieu où doit finir cette existence qui, bien que triste et pauvre, se voit encore persécutée. »


Dans une situation qui lui inspirait des sentimens si mélancoliques, Lope eut néanmoins une consolation bien douce ; il trouva un ami qui, non content de plaindre ses malheurs, voulut les partager, et fit les parts égales. Ce fut Claudio Conde, l’un des camarades d’université de Lope. Quand celui-ci fut jeté en prison, Conde demanda et obtint d’y être enfermé avec lui ; ils en sortirent en même temps pour aller ensemble en exil.

Valence était du nombre des villes où Lope avait la permission de vivre exilé, et ce fut celle où il se rendit d’abord. Devancé par sa renommée naissante, il y fut reçu de la manière la plus flatteuse. Il paraît qu’il y fut frappé, charmé de tout, de la courtoisie des hommes, de la grace et de la beauté des femmes, de la douceur du climat, de la fertilité et de la belle culture des campagnes, tradition glorieuse et persistante de l’industrie des Arabes ses anciens dominateurs. Aussi conçut-il dès-lors pour cette ville une affection qui ne se démentit plus, et qu’il eut mainte fois depuis l’occasion d’exprimer. Une particularité du séjour qu’il y fit, c’est que l’école dramatique à laquelle le théâtre espagnol dut ses premières productions remarquables, sous le rapport de l’art, y était dès-lors florissante et renommée. Tarrega, Gaspard d’Aguilar, et même Guillem de Castro, bien qu’un peu plus jeune que Lope, étaient déjà célèbres comme poètes dramatiques ; et ce fut certainement alors que Lope fit connaissance avec eux, qu’il put étudier leur système, pour y jeter un peu plus tard, sinon des formes, au moins des beautés, des idées et des intentions nouvelles.

Montalvan dit vaguement que Lope passa plusieurs années à Valence. Rien n’empêche de le croire ; il est seulement probable que son séjour n’y fut pas continu, et qu’il visita successivement divers cantons de l’est ou du nord de l’Espagne. Ce qui est certain, c’est que sa femme Isabelle le joignit et l’accompagna plus d’une fois dans ses diverses excursions. Les deux époux se donnèrent plus d’un rendez-vous dans l’exil, et il y a tout lieu de présumer qu’Isabelle, d’une santé frêle et délicate, eut beaucoup à souffrir de la fatigue de ces déplacemens et des mélancoliques impressions qui en remplissaient les intervalles. Elle se trouvait dans une des villes arrosées par le Tormès, peut-être à Alva, et chez le duc Antonio, lorsqu’elle