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LOPE DE VÉGA.

fut atteinte de la maladie qui l’emporta. Lope, qui, selon toute apparence, était à Valence en ce moment, n’arriva que pour recevoir ses derniers adieux.

Vivement affligé de cette perte, il en exhala la douleur dans une églogue où il parle sous son nom pastoral de Belardo, et un de ses amis (Pedro de Medinilla) sous celui de Lisardo. C’est de divers traits de cette pièce, d’ailleurs assez médiocre, que j’ai déduit les principales circonstances de l’évènement qui en fait le sujet. C’est là que l’on trouve des témoignages précis de la tendre part que prit Isabelle à l’exil de son époux, et des soins ingénieux par lesquels elle en sut adoucir la rigueur.

Il ne resta point à Lope d’enfant de son mariage avec Isabelle d’Urbina. L’unique fille qu’il en eut, et à laquelle il avait, on n’imagine guère pourquoi, donné le nom peu agréable pour lui de Theodora, mourut avant d’avoir atteint l’âge d’un an. Tout cela ressort d’une épitaphe en six vers latins que Lope composa en l’honneur de cette enfant, et qui n’offrent d’autre titre à la curiosité que d’être du petit nombre de ceux qu’il écrivit en cette langue.

On ne sait point la date précise de la mort d’Isabelle ; on sait seulement qu’elle eut lieu durant les préparatifs de cette fameuse expédition qui, sous le nom d’Armada, alla périr à la vue de l’Angleterre, sous les coups réunis de la tempête et de la flotte anglaise. Or, ces préparatifs durèrent au moins deux ans (de 1586 à 1588), et il y eut, selon toute apparence, quelque intervalle entre le décès d’Isabelle et le départ de l’Armada. Ce que fit Lope, ce qu’il devint, où il séjourna dans cet intervalle, ce sont choses inconnues. Tout ce que l’on sait de lui à cette époque, c’est qu’à peine se vit-il libre des soins qu’il devait à sa femme, il résolut de partir comme simple soldat avec cette formidable expédition, de l’issue de laquelle toute l’Europe était diversement préoccupée. Il paraît également certain qu’il eut, avant son départ, le loisir de nouer de nouvelles amours avec une nouvelle dame, qu’il n’a désignée que par le nom pastoral de Philis, et sur laquelle il n’y aurait à faire que de vaines conjectures.

L’invincible Armada entra du Tage dans l’Océan le 29 mai 1588, avec ses cent trente vaisseaux, étalant un appareil qui semblait justifier l’orgueil de son nom. Lope de Véga avait son poste sur l’un de ces vaisseaux, à côté de son fidèle Conde, et put jouir à loisir du spectacle imposant de l’immense flotte, appareillant pour son aventureuse destination. Il en fut vivement frappé, et, plus de trente ans