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exemple ; ils citent si souvent le livre, l’histoire, que cette formule est devenue une manière de parler sans conséquence jetée dans le récit souvent pour la rime, ou même une plaisanterie que l’Arioste a imitée en ayant soin d’appuyer ses narrations les plus follement invraisemblables sur la grave autorité de Turpin.

On peut donc croire que le recueil de Danischwer fut puisé comme celui de Nourschivan dans la tradition orale, aidée tout au plus de quelques manuscrits dont la même tradition était la source.

Ce Danischwer appartenait, dit Firdousi, à une famille de Dihkans, c’est-à-dire, comme l’a montré M. Mohl avec beaucoup de sagacité, il appartenait à l’aristocratie territoriale qui possédait le sol avant la conquête musulmane. « Les familles qui la composaient, dit M. Mohl, devaient rechercher curieusement les traditions de leurs localités et de leurs aïeux ; car une grande partie d’entre elles se rattachaient aux anciennes maisons royales ou princières de l’empire persan, dont les hauts faits formaient la matière de ces traditions. » On conçoit, d’après cela, pourquoi Danischwer avait mis un si grand intérêt à faire sa collection. Il s’agissait de la gloire héréditaire des chefs militaires ou pehlwans, dont il était un des plus illustres. Voilà donc le sujet du Livre des Rois ; c’était le recueil des antiquités poétiques de la Perse, transmis de génération en génération, arrivé jusqu’à l’époque fatale où devait s’accomplir la destruction de la monarchie persane. Il faut qu’il traverse encore trois siècles, et trois siècles de domination étrangère, avant de tomber dans les mains du grand poète qui le mettra en œuvre sans l’altérer.

Le recueil de Danischwer, épargné, mais rejeté par Omar « comme un mélange de bon et de mauvais qu’on ne pouvait approuver, » méprisé par les musulmans zélés, parce qu’il contenait des futilités dangereuses et anathématisées par le prophète, fut pourtant traduit en arabe dans le second siècle de l’hégire par un Guèbre converti à l’islamisme, mais dont la conversion fut suspecte. L’attachement à des souvenirs qui se rapportaient au temps d’ignorance[1] supposait presque nécessairement une certaine tiédeur d’orthodoxie, et plus tard Firdousi, malgré les professions de foi musulmane dont son livre est semé, ne put échapper lui-même à quelques soupçons sur la pureté de ses opinions religieuses.

Mais ce fut surtout dans le nord de la Perse, loin du centre de la

  1. C’est ainsi que les musulmans appellent le temps qui a précédé la venue de Mahomet.