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LE SCHAH-NAMEH.

On croirait voir un de ces preux qui prient sous leur armure, agenouillés au marbre d’un tombeau. Il y a même un certain rapport entre le rang du chevalier et le titre de pehlwan, originairement l’homme de la frontière (marchio, d’où marquis). Behram jette dans la poussière la tête de Kebadeh, parce que cette tête n’est pas celle d’un pehlwan.

La féodalité est intimement liée à la chevalerie, et c’est une sorte de féodalité qui régit la Perse héroïque. Les terres conférées par investiture sont de véritables fiefs ; et les chefs, dans leurs châteaux placés à la cime des montagnes, sont de véritables barons sous la suzeraineté du grand roi.

Un état social assez analogue à celui de l’Europe au moyen-âge, a dû nécessairement produire des mœurs en partie pareilles ; mais cette parité est loin d’être complète, elle est plus apparente et superficielle que réelle et fondamentale. La différence entre la chevalerie de l’Orient et celle de l’Occident, entre la chevalerie musulmane et la chevalerie chrétienne, se fait sentir principalement dans ce qui touche les sentimens et avant tout le sentiment de l’amour.

Il y a bien çà et là dans le Livre des Rois quelques expressions éparses qui pourraient convenir à l’amour chevaleresque ; mais en y regardant de près on reconnaît bientôt le caractère différent qu’elles présentent.

J’ai cité, dans des études sur la chevalerie qui ont été insérées dans la Revue des Deux Mondes, cette maxime tirée du Livre des Rois : « Quiconque est issu d’une race puissante, resterait farouche s’il n’avait une compagne. » Mais là où elles sont placées, ces paroles semblent se rapporter au mariage. Or, rien, on le sait, n’était plus antipathique, selon la jurisprudence galante du moyen-âge, que le mariage et l’amour chevaleresque. En général, ce que peint Firdousi chez les femmes, c’est la passion orientale dans sa fougue et son délire, cette passion de l’épouse de Putiphar, la Leila des poètes persans et arabes, de la Sunamite du Cantique des cantiques ; cette passion qui fait dire à Roudabeh : « Sachez que je suis ivre d’amour comme la mer qui jette ses vagues vers le ciel ; » cette passion qui conduit la belle Tehminé près de la couche de Rustem. Elle n’a d’analogue dans nos romans que les amours hardies et nullement chevaleresques des filles de sultans, qui, comme Floripar dans Ferabras, et Luziane dans Aiol de Saint-Gilles, s’éprennent subitement et violemment pour les héros chrétiens d’un sentiment que les troubadours et les trouvères ne prêtent qu’à des héroïnes musul-