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LE SCHAH-NAMEH.

rable sagacité, a retrouvé cette langue. L’idée fondamentale de la religion persane, l’idée de la lutte, du bien et du mal, représentés, l’un par les puissances de lumière, et l’autre par les puissances de ténèbres, cette idée est la base de la mythologie scandinave. Enfin, en parcourant les histoires racontées dans le Schah-Nameh, j’ai déjà rencontré plusieurs analogies frappantes entre quelques-unes de ces histoires et des évènemens retracés par la poésie germanique du moyen-âge. Je vais reprendre les traits principaux de ce rapprochement.

Le combat de Rustem et de Zohrab offre la plus grande ressemblance avec le combat d’Hildebrand et de son fils Hadebrant, tel qu’il se trouve dans la Wilkina-Saga, dans les chants populaires du Danemark, et sous une forme plus ancienne dans le précieux fragment de Cassel[1].

Le combat d’un guerrier et d’un dragon, qui est le point de départ des récits accumulés autour du héros germanique Sigurd ou Sigefrid, se reproduit plusieurs fois dans le Schah-Nameh. J’ai signalé entre la mort de ce personnage du Nord et celle de Rustem des rapports vraiment extraordinaires, et qui s’étendent jusqu’à des circonstances minutieuses et telles qu’on ne les invente guère deux fois. On pourrait poursuivre la ressemblance des deux traditions dans de nombreux détails. L’épreuve amicale que font de leur force réciproque Isfendiar et Rustem, en se serrant chacun la main de manière à ce que le sang ruisselle sous les ongles, ressemble à la lutte de Brunhilde et de Sigefrid, dans le récit de laquelle des expressions analogues sont employées ; et de même que la vaillante reine d’Islande attache avec sa ceinture les pieds et les mains de l’époux qu’elle juge indigne d’elle, dans un poème du cycle persan, la fille de Rustem, « mariée à Guis, l’un des plus braves des Iraniens, lie son mari avec sa ceinture et le jette sous son siége. » Remarquez que c’est surtout dans ce qui concerne Rustem que les ressemblances de l’épopée persane et de l’épopée germanique sont fréquentes. Le caractère général de cette portion du Livre des Rois est singulièrement rude et sauvage. On y sent la tradition locale d’un pays guerrier souvent en opposition et en lutte avec le pouvoir central de l’Iran. Ce pays est le Seistan ; il est placé non loin de ce qu’on nomme la route royale, route que suivent les caravanes, et qu’ont suivie toujours les expé-

  1. J. Grimm, Die Beyde alteste, etc. ; les deux plus anciens monumens de la poésie allemande.