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quelques longueurs et quelques redites dans tous ces belliqueux récits, en y comprenant, si nous sommes francs, ceux même d’Homère. Mais il faut se souvenir que ce n’est pas pour nous, lecteurs pacifiques, qu’ils ont été composés, mais bien pour un auditoire guerrier dans des temps passionnés pour la guerre. Pour cet auditoire et pour ces temps, la mêlée avec tous ses sanglans détails, tous ses incidens de meurtre et de carnage, la mêlée est le spectacle le plus fait pour intéresser. On ne se lasse point de ce qu’on aime ; la passion n’a que faire de la variété. Chaque époque a ses répétitions favorites : tantôt ce sont les coups de glaive et de lance, tantôt les enlèvemens, les rencontres, les beaux sentimens, les princes accomplis et les princesses incomparables ; dans de certains temps, les détails de mœurs, les analyses subtiles de l’ame. Nul siècle ne se plaint de la monotonie des peintures qu’il affectionne, et les âges héroïques se laissent redire d’interminables récits de batailles aussi volontiers que les enfans entendent raconter, pour la centième fois, des histoires de palais enchantés, de bonnes fées et de méchans génies.

Du reste, ici encore la supériorité d’art est du côté d’Homère. Les combats de l’Iliade ont toute la variété que peut admettre l’uniformité inhérente à ce genre de récit. Souvent l’histoire d’un guerrier qui succombe, rappelée en quelques vers, contraste heureusement avec l’horreur de sa mort. Les comparaisons offrent un autre moyen de distraire et de reposer le lecteur. On a remarqué qu’elles sont fréquemment empruntées à la vie rustique, comme pour délasser l’imagination par un riant souvenir. Ces oppositions ne semblent point avoir été ménagées par Firdousi, il développe moins qu’Homère les sujets de ses comparaisons. Dans l’Iliade, ce sont parfois des paysages complets suspendus parmi des tableaux guerriers ; dans le Livre des Rois, ce ne sont que quelques coups de pinceau rapides jetés à la hâte au travers d’une immense composition, comme un lointain agreste à peine indiqué dans un tableau d’histoire. Les caractères sont moins nuancés ; on ne trouve pas ces types admirables de la vaillance, de la majesté, de la sagesse, de la ruse, personnifiées dans Achille, dans Agamemnon, dans Nestor, dans Ulysse ; Rustem est le seul héros qui ait une physionomie bien tranchée. Ceci tient, en partie du moins, à la nature de l’ouvrage. Les personnages de Firdousi, à mesure que le temps les amène devant lui, passent pour ne plus revenir. Ceux d’Homère tournent autour d’une action centrale, et demeurent, pour ainsi dire, sous le regard de la poésie, tandis que la poésie n’a pas le temps de fixer les traits des premiers, comme le daguerréotype ne